mardi, juillet 1, 2025
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Entre décision royale et esprit du rite : la boussole de la sécurité religieuse et sociale est-elle perdue dans le Maroc d’aujourd’hui ?

Malgré la décision royale claire d’annuler le sacrifice de l’Aïd al-Adha cette année – en raison de la dégradation du cheptel national causée par la sécheresse et la cherté de la vie –, plusieurs médias, en tête desquels le journal Al Massae, ont observé un phénomène frappant : une affluence importante de citoyens vers les marchés pour acheter des moutons, sous divers prétextes religieux et personnels. Cette ruée a entraîné une nouvelle flambée des prix, touchant non seulement les moutons, mais aussi la viande rouge et les abats (« douara »).

Ce tableau, censé être exceptionnel, soulève des interrogations profondes qui dépassent le simple cadre de la consommation ou des habitudes saisonnières. Pourquoi une large frange de la population agit-elle comme dans une forme de « désobéissance douce » face à une directive royale, pourtant fondée sur des considérations religieuses, juridiques et économiques claires ? Où se situent les responsabilités partagées entre l’État, l’institution religieuse et le discours médiatique dans la gestion de ces pratiques collectives liées aux rituels ?

Entre religion et politique : que signifie l’annulation d’un rite de cette nature ?

Sur le plan religieux, la décision du roi – en sa qualité de Commandeur des croyants – d’annuler le sacrifice, s’inscrit dans une logique islamique fondée sur la prévention du préjudice (dar’ al-mafsada), après consultation des oulémas et des institutions compétentes, en tenant compte à la fois de la situation du cheptel national et des conditions économiques des citoyens. Autrement dit, il ne s’agissait ni d’un caprice personnel ni d’un calcul politique étroit, mais bien d’une décision fondée sur la jurisprudence de la nécessité et de l’intérêt général.

Mais la vraie question est : ce sens profond a-t-il réellement atteint la conscience du citoyen ? Ou bien l’on assiste à un déficit criant dans l’encadrement religieux et médiatique, qui aurait dû traduire cette décision en un discours de valeurs et d’intérêt spirituel partagé – et non comme une simple information ou une injonction venue d’en haut ?

Qui est responsable de la rupture de la sécurité religieuse et sociale ?

Ce qui s’est produit n’est pas un simple « non-respect d’une mesure administrative », mais l’expression d’une crise plus complexe : une crise de confiance dans les institutions religieuses, qui n’ont pas su convaincre pleinement que cette annulation repose sur une décision conforme à la loi islamique, et non sur des motifs strictement politiques ; et une crise dans la communication publique, qui a échoué à anticiper et encadrer ce rite de manière pédagogique et convaincante.

Ce qui complique davantage la situation, c’est cet attachement populaire au rituel du sacrifice, même en période de sécheresse et de hausse des prix. Cela révèle une certaine fragilité de la sécurité spirituelle des Marocains et la coexistence confuse de référentiels contradictoires dans leur compréhension du religieux dans l’espace public. Vivons-nous une forme de « schizophrénie culturelle » entre un État qui légifère au nom de la religion, et une société qui ne voit dans cette législation qu’une ingérence dans « la foi privée » ?

Économie du rite et dysfonctionnement structurel

D’un point de vue économique, la ruée soudaine sur les moutons a entraîné une hausse vertigineuse des prix : les viandes rouges ont augmenté de 10 dirhams, et les abats sont passés de 200 à 600 dirhams. Le rite de la miséricorde s’est ainsi transformé en crise de survie pour les plus fragiles, ceux-là mêmes que la décision royale cherchait à protéger.

Peut-on dès lors considérer que le discours religieux, sans une politique économique ferme et une réelle surveillance du marché, demeure lettre morte ? Le gouvernement et les conseils élus sont-ils responsables de leur laxisme en matière de régulation des prix et d’encadrement des comportements, ou faut-il voir dans cette défaillance un symptôme plus profond ?

En conclusion : avons-nous échoué à construire une conscience collective réceptive à la sagesse du pouvoir ?

Ce qui s’est passé durant l’Aïd al-Adha n’est pas un simple épisode saisonnier, mais un miroir reflétant la crise institutionnelle de la décision, l’inefficacité de l’encadrement religieux et civique, et la difficulté de l’État à établir une relation de confiance durable entre les citoyens et leurs institutions.

Faut-il continuer à répéter les décisions d’en haut ? Ou bien est-il devenu urgent de bâtir un média religieux et sociétal autonome, capable de transmettre le sens des choix publics et d’instaurer de nouvelles valeurs dans la compréhension des rites et dans l’interaction du peuple avec l’autorité ?

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