La Cour d’appel de Rabat a confirmé, lundi, le jugement de première instance prononcé à l’encontre du journaliste Hamid El Mahdaoui, directeur de publication du site « Badil », le condamnant à un an et demi de prison et à une amende de 1,5 million de dirhams. Cette condamnation fait suite à une plainte déposée par le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, s’estimant lésé par un contenu publié sur la chaîne affiliée au site.
Bien que cette décision relève de la compétence d’une autorité judiciaire indépendante, elle a ravivé un débat intense dans les milieux des droits humains et des médias, concernant la capacité des institutions à distinguer entre liberté d’expression, exercice journalistique, et atteinte à la vie privée ou transgression légale.
Un cadre juridique flou : quel fondement pour les poursuites ?
La question centrale posée par cette affaire concerne la procédure appliquée : le journaliste a été poursuivi sous le Code pénal, et non sous la loi sur la presse et l’édition. Plusieurs organisations de défense des droits y voient un recul des acquis de la presse marocaine. Elles dénoncent depuis longtemps les poursuites de journalistes sous des lois non spécialisées, soulignant les effets directs sur la liberté d’expression.
D’un autre côté, les défenseurs de la décision judiciaire soutiennent que tout citoyen, quelle que soit sa fonction, a le droit de recourir à la justice s’il se sent lésé par un contenu médiatique, à condition que cela s’inscrive dans un cadre équilibré entre droit à l’expression et protection de la réputation et de la vie privée.
Un ministre plaignant : la problématique de la séparation des pouvoirs
Le fait que le ministre de la Justice soit la partie plaignante soulève des interrogations sur l’imbrication des pouvoirs. Sa position à la tête d’un ministère influent dans le secteur judiciaire suscite des inquiétudes quant à l’impartialité des institutions de l’État, même si, en théorie, la justice fonctionne de manière indépendante. Cette situation renforce l’urgence de restaurer la confiance des citoyens – et en particulier des journalistes – dans l’indépendance réelle du pouvoir judiciaire.
Contexte des droits humains : la liberté d’expression à nouveau mise à l’épreuve
Ce procès intervient à un moment où le débat sur la liberté de la presse au Maroc est relancé, dans un contexte de multiplication des affaires impliquant des journalistes pour des publications d’opinion ou des contenus médiatiques. Des organisations internationales comme Reporters sans frontières et Human Rights Watch ont à plusieurs reprises appelé le Maroc à respecter ses engagements internationaux en matière de liberté des médias.
D’autres voix rappellent néanmoins que le journalisme, comme toute profession, doit être exercé dans le respect des règles éthiques et juridiques, et que la liberté d’expression ne saurait justifier les insultes ou les diffamations. Chaque affaire devient ainsi un test de l’équilibre entre liberté et responsabilité.
Entre droit et réalité : la nécessité d’un cadre protecteur
L’affaire El Mahdaoui, à l’instar d’autres similaires, met en lumière un vide législatif – ou du moins un chevauchement juridique – qu’il conviendrait de clarifier. Tant que les journalistes restent exposés à des poursuites sous le Code pénal, la liberté d’expression demeurera vulnérable à des interprétations variables, et ne bénéficiera pas d’une protection claire et explicite.
Il devient urgent d’ouvrir un débat institutionnel sérieux sur une révision globale des lois encadrant la profession, garantissant à la fois son indépendance et la protection des droits individuels sans compromettre l’intérêt général.
Ce jugement intervient après de longues audiences en appel durant lesquelles la défense a présenté ses arguments, avant que la cour ne décide de confirmer le jugement initial dans toutes ses dispositions.
Il convient de rappeler que le tribunal de première instance de Rabat avait condamné El Mahdaoui le 11 novembre dernier dans la même affaire, pour des accusations liées à la « diffusion d’allégations et de faits mensongers dans le but de diffamer des personnes, injure publique et diffamation », sur la base des articles 443, 444 et 447 du Code pénal.
Conclusion :
Le procès de Hamid El Mahdaoui n’est pas qu’une simple affaire entre un ministre et un journaliste. Il reflète le besoin urgent de reconsidérer les rapports entre médias et pouvoir, entre liberté d’expression et responsabilité professionnelle. Si la justice est appelée à garantir l’équité, l’État, lui, doit offrir un environnement juridique et institutionnel qui protège les journalistes et renforce la confiance dans le processus démocratique du pays. La liberté de la presse n’est pas un privilège, mais un pilier fondamental de toute société aspirant à la transparence et au progrès.