Dans une démarche qui a suscité de nombreuses interrogations, le journal Al Akhbar a révélé les réserves émises par le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement et porte-parole du gouvernement, Mustapha Baitas, au sujet d’une proposition présentée par Rachid Talbi Alami, président de la Chambre des représentants, concernant le renvoi de la loi de procédure pénale à la Cour constitutionnelle.
La réserve n’était ni fortuite ni technique, mais portait spécifiquement sur un paragraphe particulier stipulant l’interdiction faite aux associations de signaler les crimes de corruption, un paragraphe que des acteurs des droits humains, notamment le président de l’Association marocaine pour la protection des deniers publics, l’avocat Mohamed El Ghaloussi, considèrent comme une attaque directe contre le rôle de la société civile dans la surveillance de la vie publique et la lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite.
Une législation qui ne s’harmonise pas avec l’esprit de la Constitution… voire qui y contrevient ?
L’article 132 de la Constitution marocaine définit clairement les entités habilitées à saisir la Cour constitutionnelle. Or, ce qui se passe actuellement reflète, selon certains observateurs, une volonté de vider la Constitution de son esprit, et de transformer la Cour constitutionnelle en un outil docile au service des intérêts du pouvoir politique et financier.
Et c’est là que réside le véritable danger : au lieu que la législation soit un instrument de consolidation de l’État de droit, elle devient entre les mains du gouvernement actuel un moyen de contrôler le rythme de la surveillance institutionnelle et sociétale, et de barrer la route à ceux qui cherchent à dévoiler les abus, sous couvert d’une loi « préparée à dessein ».
El Ghaloussi : Quand la corruption se légitime au nom de la loi
Dans un commentaire au ton ferme, El Ghaloussi a écrit sur son compte Facebook que « le gouvernement marocain, souvent décrit comme une alliance entre l’argent et le pouvoir, ne cherche pas par cette législation à protéger l’intérêt général, mais à servir ses clients et partisans, et à les soustraire à toute reddition de comptes ».
Il a ajouté que ce gouvernement avance « à grands pas vers un approfondissement de la corruption, du clientélisme et du pillage des fonds publics », et que, tout comme il a vidé les institutions de gouvernance et le ministère public de leur rôle, il pourrait maintenant chercher à soumettre la Cour constitutionnelle à la même logique.
Quel avenir pour la lutte contre la corruption si les associations sont muselées ?
Des rapports officiels et internationaux, comme ceux de la Cour des comptes et de l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption, indiquent que le Maroc continue d’être classé parmi les pays souffrant de déséquilibres structurels dans la gestion des deniers publics et de faiblesses dans les mécanismes de reddition des comptes.
Quant aux rapports de l’organisation Transparency International, ils placent le Maroc à des rangs peu honorables dans l’indice de perception de la corruption.
Dans ce contexte, interdire aux associations de droits humains de signaler les cas de corruption devient une régression dangereuse, contraire aux engagements internationaux du Maroc en matière de droits humains et de transparence, notamment la Convention des Nations Unies contre la corruption, signée par le Royaume en 2007.
Quel avenir pour un État de droit si l’on continue à manipuler la loi ?
Ce qui se passe aujourd’hui n’est pas un simple débat technique sous la coupole du Parlement, mais un véritable combat sur la nature de l’État que veulent les Marocains : un État d’institutions qui protège la société et tient les corrompus pour responsables ? Ou bien un État d’intérêts, qui légifère pour ceux qui gouvernent afin qu’ils échappent à toute sanction, et qui bâillonne ceux qui refusent de se taire face au pillage des fonds publics ?
Cette question ne concerne pas seulement l’élite juridique, mais chaque citoyen rêvant d’un pays régi par la justice et la dignité. Car lorsque la corruption se légitime par la loi, ce n’est pas seulement l’économie qui est menacée, mais la stabilité de l’État et de toute la société.