Analyse approfondie des coulisses de la décision de la ministre des Finances et de ses implications sur la sécurité énergétique et le pouvoir d’achat
La décision n° 1149.25, émise par la ministre de l’Économie et des Finances, Nadia Fettah, est entrée en vigueur le 29 mai 2025. Elle vise à modifier et actualiser les prix du transport du gaz butane entre les lieux d’approvisionnement et les centres de remplissage. Une décision, en apparence technique et administrative, adoptée après consultation de la Commission interministérielle des prix. Mais en examinant ses implications, une question plus vaste s’impose : Cette révision constitue-t-elle un prélude à une restructuration du système de subventions énergétiques au Maroc, dans un contexte de pressions budgétaires croissantes et de volatilité des marchés mondiaux ?
De Mohammédia à Bouzou : Des chiffres logistiques qui en disent plus long
L’annexe III de la décision actualisée indique que le coût du transport du gaz butane (par tonne-kilomètre, hors taxes) de Mohammédia – centre névralgique de l’industrie gazière marocaine – vers le centre de remplissage de Bouzou est fixé à 266 dirhams. En revanche, le coût entre Mohammédia et Médiouna ne dépasse pas 27 dirhams.
Cet écart significatif reflète des disparités territoriales dans les infrastructures logistiques, mais interroge surtout sur la justice spatiale dans la répartition des coûts des services de base. Autre donnée notable : le coût du transport depuis le port stratégique de Tanger Med jusqu’au centre de remplissage de Souk El Arbaa s’élève à 169 dirhams par tonne-kilomètre.
Des chiffres apparemment techniques, mais qui traduisent une dynamique plus profonde : Sommes-nous à l’aube d’une nouvelle logique de tarification fondée sur le « coût réel » ?
Un contexte économique sous tension… et une Caisse de compensation exposée
La loi de finances 2025 a réservé plus de 16,5 milliards de dirhams à la Caisse de compensation, principalement pour subventionner le gaz butane, le sucre et la farine nationale de blé tendre. Malgré l’augmentation de 10 dirhams du prix de la bonbonne de 12 kg en mai 2024, l’État continue de supporter une charge financière considérable pour maintenir la stabilité des prix.
Mais jusqu’à quand ce modèle est-il soutenable ? Selon les rapports antérieurs du ministère, la subvention accordée à chaque bonbonne de 12 kg peut dépasser les 80 dirhams, notamment en raison des chocs géopolitiques (Ukraine, Moyen-Orient, pétrole…).
Cette révision des frais de transport serait-elle alors une première étape vers une révision plus large et progressive du système de compensation ?
Réforme silencieuse ou crainte d’un contrecoup social ?
Bien que cette décision s’inscrive dans le prolongement de textes adoptés sous les gouvernements précédents (Benkirane, El Otmani), son activation sous le gouvernement Akhannouch prend une dimension politique particulière. Le chef de gouvernement, issu du monde des affaires, fait face à une équation complexe : préserver les équilibres macroéconomiques, répondre aux engagements internationaux, tout en évitant une contestation sociale.
Le Maroc s’oriente-t-il, à l’instar de l’Égypte ou de la Tunisie, vers un démantèlement progressif des subventions à travers des ajustements « techniques » ? Ou bien l’État cherche-t-il à concilier soutien ciblé aux plus vulnérables et rationalisation des coûts logistiques ?
Une comparaison internationale révélatrice
Plusieurs pays d’Amérique latine ou d’Asie ont opté pour des systèmes de transfert monétaire direct, ciblant les populations vulnérables au lieu de subventionner les produits eux-mêmes. La Banque mondiale recommande depuis des années au Maroc d’adopter cette approche. Est-ce le scénario à venir, où le citoyen deviendra bénéficiaire direct d’une aide financière compensatoire ?
Conclusion analytique : Réviser, oui… mais selon quelle justice énergétique ?
En apparence, la décision de la ministre porte sur l’ajustement des frais de transport du gaz butane. Mais en profondeur, elle préfigure peut-être un changement de paradigme dans la politique de subvention, une transition vers « l’après-compensation ».
Entre logique comptable et justice sociale, entre nécessité budgétaire et pression citoyenne, une interrogation essentielle demeure :
S’agit-il d’une réforme technique discrète ou du début d’une libéralisation silencieuse des prix ?
Et puisque les réponses ne résident pas uniquement dans les textes juridiques, mais aussi dans les chiffres de la dépense publique et les réactions du terrain, la suite des événements sera décisive.