Au moment où le Parti de la justice et du développement (PJD) faisait face à de grandes difficultés après avoir perdu le pouvoir, Abdelilah Benkirane a pris la parole pour délivrer un discours différent, portant un message politique mêlant « renoncement » et « résistance ».
Ce discours lors du dernier congrès n’était pas simplement un événement d’organisation politique, mais constituait un moment de refonte de l’identité du parti en tant que mouvement populaire et « résistant » sur le plan politique. Benkirane a mis l’accent dans son discours sur la reconstruction de l’image du parti en tant que mouvement indépendant capable de s’opposer à l’État et à ses pressions financières, rejetant le financement public lors du dernier congrès, comme symbole de l’indépendance du parti.
L’indépendance financière comme valeur symbolique
Les messages les plus importants véhiculés par ce discours concernaient l’indépendance financière. Benkirane ne se contentait pas de parler de la nécessité d’absence de soutien gouvernemental, il tentait également de reformuler l’idée de « financement autonome » comme preuve de la pureté du parti et de sa véritable direction politique. Il a souligné que le ministère de l’Intérieur ne leur avait pas fourni de soutien, et que le parti comptait uniquement sur les contributions volontaires de ses membres, qui ont donné des sommes variées. Tandis que ce message apparaissait comme une déclaration de transparence, il pouvait aussi être perçu comme un message médiatique visant à renforcer l’image du parti indépendant.
« Nous ne prendrons ni 200 dirhams ni 70 000 dirhams, ceux qui veulent aider peuvent le faire, ceux qui ne veulent pas, bienvenue quand même. » Cette phrase a été l’une des démonstrations les plus frappantes du désir de Benkirane de présenter le parti comme une force reposant sur la capacité autonome qui n’a pas besoin de soutien extérieur, renforçant ainsi l’idée de l’indépendance et de la capacité à vivre indépendamment du pouvoir politique.
Cependant, ce discours était un défi majeur pour le parti, car il soulevait des questions sur l’efficacité réelle de cette indépendance face aux crises économiques et sociales que traverse le Maroc. Tandis que Benkirane prônait le renoncement, de nombreux membres du parti se demandaient quel était le véritable sens de cette position face à la réalité du pays.
Retour à la légende du parti résistant
Benkirane ne se contenta pas de parler de l’indépendance financière, il a aussi tenté de bâtir un nouveau mythe autour du Parti de la justice et du développement. Il a présenté le parti non seulement comme un acteur politique, mais comme un véritable parti résistant affrontant plusieurs défis, dont les complots internes et les pressions politiques. Ce mythe, que le parti a cultivé depuis sa fondation, visait à montrer le PJD comme un mouvement radical, et non simplement un parti politique évoluant dans le cadre des systèmes politiques traditionnels.
Cette légende organisationnelle s’est exprimée de manière très claire lors du congrès, quand Benkirane a évoqué l’ampleur des contributions volontaires recueillies auprès des membres. Ces contributions financières, variant entre 100 dirhams et 10 000 dirhams, ont été présentées comme une preuve de l’esprit collectif du parti. Benkirane ici cherche à construire l’image d’un parti fondé sur l’unité et l’autosuffisance, ce qui pourrait renforcer la légitimité du PJD aux yeux de ses bases populaires.
Mais ce discours parviendra-t-il à convaincre la rue marocaine ? Après des années de gouvernance, le parti souffre aujourd’hui d’une perte de confiance auprès d’une grande partie de l’électorat qui croyait en ce mythe du parti résistant. Tandis que Benkirane promeut son parti comme un mouvement de renoncement, il ne peut ignorer les grandes transformations sociales et économiques qui demandent des solutions concrètes et non une simple symbolique politique.
La nouvelle réalité politique et les transformations de la rue
Au moment où Benkirane parlait de l’indépendance du parti et des contributions volontaires, la réalité politique semblait indiquer un détournement du rôle des partis traditionnels. Il a mentionné les difficultés rencontrées par les dirigeants locaux, et l’incapacité du parti à garantir des responsables dans certaines régions. Ces difficultés reflètent un désintérêt croissant du public pour la politique traditionnelle, mettant en lumière la crise profonde du Parti de la justice et du développement.
Benkirane a également implicitement reconnu cette baisse d’impact de son modèle de parti résistant en disant que, en 2011, les gens s’intéressaient à la politique, mais avec le temps, cet intérêt s’est réduit et l’abstention a pris le dessus lors des élections. Les années 2011-2016, qui ont vu un large enthousiasme populaire pour le parti, ont laissé derrière elles un vide politique dans un contexte de grandes crises économiques.
Repenser le modèle du parti résistant
Il devient évident que le parti doit réévaluer son discours s’il souhaite maintenir sa position dans le paysage politique marocain. Le discours de Benkirane, fondé sur le renoncement financier et l’indépendance, ne suffit plus face à la situation actuelle. Les gens aujourd’hui cherchent des solutions réelles aux problèmes sociaux et économiques, et cela exige que le parti reconsidère sa stratégie pour s’adapter aux changements majeurs dans la société.
Conclusion
À travers son discours lors du congrès, on peut dire que Benkirane cherche à raviver la légende du parti résistant, qui puise sa force dans les contributions populaires et l’indépendance financière. Mais en même temps, la question se pose : ce renoncement politique qu’il prône peut-il encore convaincre la rue marocaine ? Dans un contexte de transformations sociales et économiques, il est probablement nécessaire pour le parti de réexaminer sa stratégie politique, loin des symboles qui pourraient ne plus répondre aux besoins réels des citoyens aujourd’hui.
