Le site Maroc Maintenant a observé l’accident tragique qui a coûté la vie à quatre femmes travaillant dans une exploitation agricole à la commune de Sabet Al-Kerdane, en périphérie d’Agadir. Elles étaient transportées dans un « pick-up » ne répondant pas aux conditions minimales de sécurité, dans une scène malheureusement pas nouvelle dans un Maroc marqué par la précarité et la féminisation de la pauvreté.
Mais jusqu’à quand continuera-t-on à traiter ces tragédies comme de simples « événements isolés », au lieu de les lire comme une structure produisant une violence sociale et économique ?
L’État considère-t-il toujours les travailleuses agricoles en dehors du cadre de protection législative, alors qu’elles constituent le cœur de l’économie agricole nationale ?
L’accident, survenu le 26 mai 2025, causé par l’éclatement d’un pneu du véhicule transportant 14 femmes, pose à nouveau la question de la justice sociale dans le secteur agricole, surtout dans un contexte d’absence de cadre légal strict encadrant les conditions de transport et d’emploi, avec une augmentation inquiétante du nombre de décès parmi ces travailleuses dans des accidents similaires.
Bouchra Abdou, militante des droits humains et directrice de l’association « Al-Tahadi pour l’égalité et la citoyenneté », ne considère pas cet incident comme un simple « accident de la route », mais comme « la conséquence directe des politiques de marginalisation des femmes dans le secteur agricole ». Elle souligne que les travailleuses sont contraintes d’accepter un « transport dénué de dignité et d’humanité », contre une maigre rémunération à peine suffisante pour subvenir aux besoins de leurs familles.
Ces témoignages relancent le débat sur un système de transport des travailleuses qui demeure sans contrôle effectif, malgré la multiplication des recommandations et des rapports.
Pour sa part, Khalid Misbah, président du mouvement associatif « At-Tawiza », a lié cet accident à la réalité de la « féminisation de la pauvreté et à l’exploitation structurelle », s’interrogeant sur l’absence de toute sanction effective malgré la répétition de ces incidents dans les mêmes exploitations agricoles. Il souligne que « la peur de perdre leur emploi empêche ces femmes de dénoncer leurs conditions de travail ».
Absence de protection, oubli de la loi
Les données du Conseil économique, social et environnemental et les rapports du Haut-Commissariat au Plan révèlent à plusieurs reprises la fragilité de la situation des femmes actives dans le secteur agricole, qui représentent dans certaines régions plus de 60 % de la main-d’œuvre, sans pour autant bénéficier d’une intégration effective à la couverture médicale ou à la sécurité sociale.
De plus, les rapports de l’Organisation internationale du travail (OIT) indiquent que le Maroc est appelé à réviser son cadre juridique afin de garantir des conditions de transport sûres et équitables pour les femmes, particulièrement dans les zones rurales où la surveillance institutionnelle fait défaut et où prospèrent des « entreprises de transport non structurées ».
Questions brûlantes : Qui est responsable ? Où sont les politiques publiques ?
Qui est responsable de la prolifération du transport chaotique des « travailleuses rurales » malgré l’existence de législations ?
Pourquoi les rapports des comités de contrôle et les autorités des ministères de l’Emploi, de l’Agriculture et des Transports ne sont-ils pas appliqués ?
Où en est le projet de généralisation de la protection sociale promis par le gouvernement ? Inclut-il réellement les travailleuses agricoles ?
Pourquoi ces accidents se répètent-ils de la même manière, sans que soient considérés les crimes de négligence et de mauvais traitements ?
Vers une politique publique inclusive
Ce que réclament aujourd’hui les voix des droits humains, ce n’est pas seulement l’ouverture d’une enquête judiciaire, mais aussi la rédaction d’un cadre légal contraignant imposant des conditions de sécurité dans le transport rural, obligeant les employeurs à fournir des moyens de transport respectant un minimum de dignité, ainsi que l’intégration des travailleuses dans un système complet de protection sociale.
Sans volonté politique claire et stratégie publique liant justice sociale et dignité du travail, les « accidents de Sabet Al-Kerdane » continueront de se reproduire, et les travailleuses agricoles resteront de simples chiffres dans les listes de la mort quotidienne.