Réseaux de blanchiment, implication d’élus, et spéculations silencieuses posent des questions sur l’avenir de l’intégrité territoriale et financière au Maroc
Au cœur des transformations économiques que connaît le Maroc, l’immobilier revient au centre des débats, non pas comme levier d’investissement ou outil de justice spatiale, mais comme un potentiel instrument de blanchiment d’argent et de redistribution des influences dans les marges urbanisées.
Ce que des sources bien informées ont révélé à Maroc Now au sujet de la vague d’achats massifs en espèces de terrains dans de nouvelles lotissements en périphérie de Casablanca, notamment dans les provinces de Berrechid et Nouaceur, soulève des questions cruciales dépassant l’aspect financier pour toucher les dimensions politique, sociale et diplomatique à l’ère de la « gouvernance et de la reddition des comptes ».
Qui achète ? Et pourquoi maintenant ?
Le phénomène observé – selon des sources proches du dossier – concerne des particuliers, notamment des Marocains résidant à l’étranger, des élus actuels et anciens, ainsi que des promoteurs immobiliers, qui ont acquis des dizaines de parcelles en payant parfois plus d’un million de dirhams par lot, sans aucun financement bancaire.
La question évidente ici est : qui détient autant de liquidités ? Et pourquoi certains préfèrent-ils payer en cash malgré la disponibilité des banques et des mécanismes de financement immobilier ?
Le plus préoccupant est que ces acheteurs n’ont aucun lien résidentiel ou économique avec la zone, et représentent souvent d’autres villes, notamment du Nord du royaume. Sommes-nous face à un investissement légitime, à une tentative de camouflage et de positionnement immobilier en vue de transformations futures, ou bien à une nouvelle dynamique d’importation d’argent liquide de l’étranger vers le pays ?
La « régularisation fiscale » est-elle devenue un paravent pour le blanchiment d’argent ?
Ces données coïncident avec un contexte sensible : le lancement récent par l’État marocain d’une opération de régularisation volontaire des impôts pour les personnes physiques.
Si cette initiative est louable pour encourager la conformité fiscale, elle ouvre la porte à des risques d’exploitation abusive.
Certaines réseaux auraient-ils profité de cette opportunité pour faire transiter des sommes colossales sous couvert de régularisation ?
Des rapports internationaux, notamment de la Banque mondiale et de centres de recherche économique, indiquent que le Maroc perd chaque année des milliards de dirhams à cause de la fuite des capitaux et de la non-conformité fiscale.
L’immobilier recycle-t-il cet argent ? Les organes financiers de l’État, tels que la Commission nationale des informations financières et la Direction générale des impôts, sont-ils suffisamment outillés pour relever ce défi structurel ?
Élus, notaires et promoteurs sous le coup des soupçons
Les enquêtes en cours – selon les mêmes sources – n’excluent ni les notaires ni les lotisseurs, et concernent même des élus actuels et anciens ainsi que des « entreprises familiales » bénéficiant de contrats de construction et de commercialisation, après avoir obtenu des parcelles stratégiques dans des conditions obscures.
Une question plus profonde se pose : n’est-il pas temps d’interroger la relation suspecte entre politique et immobilier au Maroc ?Pourquoi les principaux élus ne sont-ils pas soumis à un contrôle rigoureux de l’enrichissement illicite et de la déclaration de patrimoine immobilier, comme c’est le cas dans d’autres démocraties émergentes ?
Les rapports des services des affaires générales des préfectures ont clairement indiqué que certains présidents de communes gèrent l’immobilier comme une propriété privée, menant à un monopole des terres et à leur revente via des réseaux de courtage familiaux et politiques.
Dimension régionale et internationale : investissement des Marocains du monde… ou infiltration financière ?
Un aspect notable dans ces opérations est la forte présence de Marocains résidant à l’étranger. Cela soulève un double débat : Sommes-nous face à un investissement national légitime à encourager et protéger ? Ou bien certaines parties internationales – même via des citoyens à double nationalité – cherchent-elles à recycler des fonds douteux sur le marché marocain, en profitant de la faiblesse des contrôles ou de la flexibilité du cadre légal ?
Cette question a aussi une dimension diplomatique : alors que le Maroc négocie le renforcement de ses partenariats avec l’Europe, le Golfe et l’Afrique, il doit garantir la transparence de son système financier et immobilier. Toute négligence dans ce dossier sensible pourrait ébranler la confiance des partenaires internationaux et des grandes institutions financières.
Entre gouvernance et reddition des comptes : les mesures actuelles sont-elles suffisantes ?
Il est indéniable que la détection du phénomène est une première étape importante, mais la priorité doit être donnée à la responsabilisation et à la mise en œuvre de la reddition des comptes.
Attendons-nous que les réseaux de blanchiment s’installent durablement ? Ou prenons-nous les devants pour dissuader les impliqués ? Quel rôle joue la justice ? A-t-elle les pouvoirs réels pour démanteler ces structures complexes ? Ou le « mur d’immunité électorale et financière » demeurera-t-il un obstacle au changement réel ?
Vers une stratégie nationale de lutte contre le blanchiment d’argent dans l’immobilier ?
Le moment semble propice au lancement d’une stratégie nationale intégrée de lutte contre le blanchiment d’argent dans le secteur immobilier, impliquant le ministère de l’Intérieur, la justice, Bank Al-Maghrib, la Commission nationale des informations financières, et la société civile.
Cette initiative pourrait être soutenue par un cadre législatif plus strict, inspiré des recommandations du Groupe d’action financière (GAFI), d’autant que le Maroc mène une bataille sensible pour sortir de la « zone grise » des classifications financières internationales.
« Il convient de noter que la Commission nationale des informations financières et la Direction générale des impôts ont engagé des enquêtes approfondies sur ces opérations, dans le cadre de leurs prérogatives légales. En attendant les résultats de ces enquêtes, les informations disponibles restent préliminaires et en cours de vérification, et ne peuvent être considérées comme une preuve définitive d’irrégularités juridiques ou financières. »
Conclusion et perspectives : quelle voie suivre ?
Ce qui se passe dans la périphérie de Casablanca n’est pas une simple transaction immobilière, mais un indicateur de transformations profondes dans la structure du pouvoir économique et social.
L’enjeu n’est pas seulement de suivre les transactions, mais de démanteler les structures qui produisent la rente, en lien avec de grandes réformes touchant le nouveau modèle de développement, la gouvernance territoriale, et la justice fiscale.
Cette affaire, avec ses risques et opportunités, est un signal d’alarme.
Les décideurs l’entendront-ils avant que certaines zones ne deviennent des « îlots financiers isolés » sur le territoire national ?
Peut-on trouver un équilibre entre encouragement de l’investissement, lutte contre la manipulation et la corruption, et restauration de la confiance dans l’État et ses institutions ?
Les questions restent ouvertes… et les réponses dépendent d’une volonté politique audacieuse, d’une société civile vigilante, et d’un journalisme d’analyse…