À un moment charnière de la vie politique et institutionnelle du Maroc, une nouvelle affaire de corruption éclate. Cette fois, il ne s’agit pas d’un détournement de fonds ou d’une mauvaise gestion, mais d’un scandale qui touche au cœur même de l’État moderne : la connaissance, la reconnaissance des compétences et le mérite dans l’accès aux fonctions publiques. Devons-nous y voir un incident isolé ou les signes inquiétants d’un système universitaire et administratif gangrené ?
Quand le diplôme devient une marchandise… et que la compétence s’efface
Lors de la séance mensuelle de questions orales adressées au Chef du gouvernement, la députée Hanane Ftarras, du groupe socialiste à la Chambre des représentants, a révélé que certains hauts responsables gouvernementaux auraient accédé à leurs fonctions à l’aide de diplômes universitaires falsifiés, leur permettant d’occuper des postes sensibles, avec titres et privilèges à la clé — au détriment des véritables compétences.
Peut-on parler d’un cas isolé ou assistons-nous à l’émergence d’un nouveau type de rente : l’investissement dans les faux diplômes ? Cette interrogation prend tout son sens lorsque l’on sait que l’affaire concerne une faculté de droit relevant de l’Université Ibn Zohr, où un professeur, coordinateur d’un master et cadre du Parti de l’Union Constitutionnelle, est accusé d’avoir vendu des diplômes à des personnalités influentes. L’enquête, menée par la Brigade nationale de la police judiciaire, a impliqué des fonctionnaires, des avocats et des enfants d’élus, suggérant l’existence de réseaux puissants mêlant clientélisme, pouvoir et impunité.
Dimension morale : avons-nous banalisé le crime académique ?
« Nous faisons face à une corruption bien plus dangereuse que celle financière ou administrative », affirme la députée. Cette déclaration, aussi forte soit-elle, révèle une prise de conscience : le faux diplôme est une trahison de l’éthique publique, sapant les fondements du mérite, de l’égalité des chances et de la confiance citoyenne.
Peut-on accepter que certains soient nommés à des postes de responsabilité sur la base de qualifications frauduleuses ? Et que devient la crédibilité des politiques publiques si ceux qui les portent n’en maîtrisent ni le contenu ni l’éthique ?
De l’université à l’État : repenser le système du mérite
Selon plusieurs rapports (Banque mondiale, Conseil supérieur de l’éducation, UNESCO…), l’enseignement supérieur marocain souffre de failles profondes : gouvernance déficiente, manque de transparence, accès aux postes universitaires par favoritisme. Le rapport UNESCO 2023 sur la transparence académique a d’ailleurs souligné la montée des fraudes dans certains pays de la région, estimant que le laxisme en matière d’intégrité académique compromet toute ambition de construire une économie du savoir.
Au Maroc, l’absence de mécanismes nationaux d’audit académique indépendants — à l’image de France Éducation International ou du réseau NARIC européen — rend la chaîne de délivrance des diplômes vulnérable. L’autonomie universitaire, sans contrôle transparent et numérique, devient une porte ouverte à toutes les dérives.
Une question de souveraineté : quand la fraude universitaire devient un défi stratégique
Ce scandale s’inscrit dans un contexte stratégique particulier. Alors que le Maroc mise sur le capital humain et la diplomatie académique pour affirmer sa place sur la scène africaine et internationale, ce type d’affaire affaiblit cette ambition. Peut-on bâtir une diplomatie crédible avec des élites formées par la fraude ? Et comment convaincre les investisseurs ou partenaires internationaux de la fiabilité d’un système où le faux peut ouvrir les portes du vrai pouvoir ?
L’enjeu dépasse donc la simple fraude : il touche à la légitimité même de l’État, à la méritocratie républicaine et au pacte de confiance entre citoyens et institutions. Reste à savoir : les institutions marocaines oseront-elles affronter ce mal à la racine ? Et surtout, qui audite les auditeurs ?