Cette analyse ne constitue ni un jugement judiciaire, ni un parti pris pour l’une des parties. Il s’agit d’une lecture journalistique d’une affaire publique soulevant des enjeux d’intérêt général.
Dans une tentative remarquée de détourner l’attention des accusations portées contre Mohamed Boudrika, ancien président du Raja Club Athletic et ex-député du Rassemblement national des indépendants (RNI), la défense a choisi une stratégie pour le moins singulière : exhiber des photographies de l’accusé en compagnie de hautes figures de l’État, dont le Roi Mohammed VI, le Prince héritier, le président français Emmanuel Macron, ainsi que plusieurs chefs d’État et personnalités du Golfe.
Durant l’audience tenue mardi devant le tribunal correctionnel d’Aïn Sebaâ à Casablanca, Me Noureddine Riahy a tenté de convaincre la cour de la « probité » de son client en déclarant que « les services de renseignement français ne permettraient jamais à un individu douteux de se prendre en photo avec leur chef d’État ». Une déclaration qui soulève toutefois une série d’interrogations légitimes.
La notoriété comme bouclier juridique ?
La défense de Boudrika semble vouloir transformer une proximité sociale ou politique en preuve d’intégrité. Une logique qui interpelle : la proximité avec le pouvoir, ou même l’appartenance à une élite, peut-elle servir d’argument contre une mise en cause judiciaire ? Faut-il rappeler que le principe d’égalité devant la loi interdit toute immunité informelle ou symbolique, même pour les visages connus ou les ex-responsables politiques ?
Le recours à ces images révèle une tentative de réinscrire le procès dans un registre moral ou politique, en décalage avec l’exigence de vérité judiciaire. Cela pose aussi une autre question dérangeante : assiste-t-on à un usage opportuniste de la symbolique royale ou étatique dans l’espace judiciaire ?
Une affaire judiciaire ou un combat politique ?
Me Riahy a par ailleurs évoqué des « mains invisibles » qui chercheraient à nuire à la carrière de Boudrika, suggérant des motivations politiques derrière les poursuites. Il a aussi évoqué l’impact de la crise du Covid-19, les problèmes de santé de son client, et le retrait d’un permis lié à un projet immobilier de plus de 2,5 milliards de dirhams comme facteurs aggravants de sa situation économique.
La défense plaide donc non seulement les circonstances atténuantes, mais aussi une forme de « complot » en arrière-plan. Cette posture, souvent observée dans les procès à forte exposition médiatique, transforme l’espace judiciaire en tribune politique, ce qui brouille les lignes entre justice, opinion publique et instrumentalisation de la victimisation.
Une stratégie risquée dans un contexte d’attente d’exemplarité
Dans un contexte où les citoyens marocains attendent davantage de transparence, de reddition des comptes et d’exemplarité des élites, la posture de la défense interroge. Les procès ne sont pas censés devenir des vitrines de réseaux ou d’influence, mais des lieux de vérité.
A fortiori dans une société qui aspire à un État de droit effectif, où la justice n’est ni spectacle ni privilège. Cette affaire rappelle donc, au-delà du sort d’un homme, l’urgence de dissocier l’image de l’impunité de tout ce qui touche au pouvoir, qu’il soit politique, économique ou symbolique.