Entre les éloges pour des succès symboliques sur la scène internationale et la promotion du discours de la « soft power » par le sport, une grande question émerge : comment un pays qui ne dispose même pas d’une fédération nationale unifiée du sport peut-il exercer une diplomatie sportive efficace ? Et les victoires isolées suffisent-elles à masquer la crise structurelle que traverse tout le système sportif ?
Lors d’un colloque scientifique organisé par l’Université Sultan Moulay Slimane à Béni Mellal, le samedi 3 mai 2025, sous le thème « La diplomatie sportive : le soft power du Maroc », l’attention a été portée sur ce que l’on appelle désormais le « visage diplomatique » du sport. Cette rencontre, à laquelle ont participé des experts marocains et algériens, a mêlé analyse académique et ambitions politiques, soulevant des questions fondamentales sur la place du Maroc dans ce domaine. Toutefois, elle a – peut-être involontairement – éludé le débat essentiel sur la fragilité de la structure nationale censée soutenir cette diplomatie douce.
Des stades aux centres de décision… mais avec quels outils internes ?
Le journaliste algérien Walid Kabir a affirmé que le Maroc, grâce à sa vision stratégique, a réussi à faire du sport un levier pour renforcer sa présence diplomatique, notamment après son retour dans l’Union africaine. Mais cette appréciation soulève une question cruciale : quelle est la réalité de ces succès en l’absence d’une structure nationale capable de former des champions et d’élaborer une politique publique sportive stable et institutionnalisée ?
Nous saluons certes le rôle du Maroc dans la candidature à l’organisation de la Coupe du monde 2030, et sa performance héroïque lors du Mondial au Qatar, mais il ne faut pas oublier que cet exploit est le fruit d’efforts individuels et de talents formés en grande partie en Europe – non pas d’un système national de formation des champions.
Moncef El Yazghi : le Mondial du Qatar a changé les règles… mais au profit de qui ?
Le Dr. Moncef El Yazghi a considéré que le Mondial du Qatar a marqué un tournant dans la diplomatie sportive, soulignant comment le Maroc a réussi à se positionner comme une puissance régionale douce. Mais n’aurait-il pas été plus pertinent de se demander : ce tournant est-il encadré par une politique publique ? Est-il soutenable à long terme ?
Si le sport est censé être un levier de développement, comment expliquer l’absence d’une stratégie globale pour moderniser les infrastructures dans les régions non concernées par l’organisation d’événements ? Comment accepter que la chance ou les affiliations déterminent qui dirige le sport national ? Où est passée la justice territoriale et sportive ?
Une réalité amère : ni fédération nationale unifiée, ni projet pour former des champions
Malgré les discours brillants sur la « diplomatie sportive », la réalité est que le Maroc manque toujours des fondements les plus élémentaires de la professionnalisation institutionnelle. Il n’existe pas de fédération nationale unique chargée de superviser les politiques sportives et de coordonner la formation, l’encadrement et l’organisation des compétitions. Le paysage est régi par l’arbitraire, le favoritisme, les ingérences politiques, et les « goûts personnels » de ceux qui dirigent le secteur, tandis que des centaines de talents souffrent de marginalisation et d’exclusion.
Comment amorcer une transformation des politiques sportives si les mécanismes de nomination sont souvent basés sur la loyauté et non la compétence ? Comment convaincre la jeunesse marocaine de la valeur du sport si leurs ambitions sont menacées par une mentalité d’exclusion ?
Entre théorie académique et réalité de terrain… que faut-il faire ?
Le colloque de Béni Mellal a été une opportunité précieuse pour ouvrir le débat sur l’utilisation stratégique du sport au service des grandes causes nationales. Mais ce débat reste incomplet sans une révision audacieuse de la situation interne du sport national. Car la diplomatie sportive n’est pas un simple slogan médiatique, mais un projet d’État. Et un État qui aspire à jouer un rôle régional en diplomatie sportive doit d’abord libérer son secteur des logiques clientélistes, établir une fédération nationale indépendante, et créer un cadre juridique qui protège les champions et leur offre un espace équitable de réussite.
Avons-nous la volonté de réformer l’intérieur avant de rayonner à l’extérieur ?