Lors du Sommet de l’avenir de la sécurité énergétique à Londres, Leila Benali, ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, n’a pas livré un simple discours technique. Elle a révélé une architecture complète de la stratégie énergétique du Maroc, articulée autour de la vision royale pour la souveraineté énergétique, appelant à dépasser la lenteur des réformes et à penser à une refonte systémique du modèle énergétique mondial.
Mais que signifie exactement cette vision ? Quels sont ses leviers ? Et surtout, quelles sont ses implications dans le contexte géopolitique actuel ?
Une sécurité énergétique qui dépasse la molécule et l’électron
Leila Benali a clairement indiqué que le Maroc ne se contente pas d’assurer un approvisionnement stable en gaz ou en électricité. La souveraineté énergétique, telle qu’imaginée dans la vision royale, implique :
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Une restructuration globale du système énergétique
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Un renforcement des investissements dans les énergies renouvelables
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Une justice énergétique et sociale
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Le développement de chaînes de valeur et la protection des actifs énergétiques
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L’adoption de modèles de gestion intelligents et partagés
Ce positionnement est-il réaliste pour un pays à revenu intermédiaire ? La ministre a tenu à rappeler que le Maroc est, par sa double connectivité avec l’Europe et l’Atlantique, en mesure de jouer un rôle pivot dans le futur énergétique mondial.
2025 : une année charnière pour le Maroc énergétique ?
Selon la ministre, 2025 sera une année de bascule : le Maroc ambitionne de quadrupler ses investissements dans les énergies renouvelables et de les multiplier par cinq dans les réseaux électriques. C’est une déclaration forte, qui pose la question des capacités de financement, de gestion des projets et de gouvernance institutionnelle. D’où l’appel lancé à Londres à restructurer les institutions financières multilatérales et à créer un cadre international plus souple pour soutenir les projets d’infrastructure énergétique.
Gazoduc Afrique-Atlantique : un rêve africain ou une nouvelle route énergétique ?
Le projet de gazoduc Nigeria-Maroc est au cœur de cette vision. En lançant un appel d’offres de 6 milliards de dollars, le Royaume montre qu’il ne s’agit pas d’une simple ambition diplomatique, mais d’un projet stratégique à plusieurs dimensions :
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Transport des molécules de gaz et de l’hydrogène vert
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Intégration énergétique régionale
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Connexion entre les ressources africaines et les besoins européens
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Création de corridors verts favorables au co-développement
S’agit-il d’un futur pont énergétique Sud-Nord ? Ou ce projet reste-t-il encore conditionné par les incertitudes géopolitiques et financières qui freinent souvent les grandes initiatives d’intégration régionale ?
Un signal stratégique depuis Londres : le Maroc se veut force de proposition
La participation de Leila Benali à ce sommet ne peut être dissociée du contexte international tendu : guerre en Ukraine, transition énergétique mondiale, inflation verte, rareté des minerais critiques… Dans ce cadre, le Maroc envoie depuis Londres des messages forts :
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Il n’est pas une périphérie énergétique, mais un acteur crédible
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Il favorise la coopération plutôt que la dépendance
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Il lie transition énergétique et développement durable dans une logique de souveraineté inclusive
En conclusion : un modèle marocain exportable ?
Ce que la ministre a esquissé à Londres dépasse le cadre institutionnel. C’est l’ébauche d’un modèle énergétique marocain qui mise sur :
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L’interconnexion régionale
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La justice énergétique
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L’investissement dans les infrastructures critiques
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L’anticipation géopolitique
Mais le Maroc peut-il vraiment exporter ce modèle ? Dispose-t-il des moyens financiers, institutionnels et diplomatiques pour s’imposer face aux grandes puissances de l’énergie ? Et les partenaires internationaux seront-ils prêts à jouer le jeu de la coopération énergétique plutôt que de la domination ?
Quoi qu’il en soit, une chose est claire :
Le Maroc ne veut plus subir la carte énergétique mondiale. Il veut en dessiner les contours.