Dans un tournant qui pourrait annoncer un changement profond dans la gouvernance territoriale au Maroc, l’Inspection Générale de l’Administration Territoriale (IGAT), récemment placée sous la direction du wali Mohamed Fawzi, prévoit d’envoyer des commissions centrales dans des communes restées hors du champ du contrôle administratif pendant de nombreuses années. Ces inspections concernent principalement des territoires relevant des régions de Casablanca-Settat, Marrakech-Safi et Béni Mellal-Khénifra.
Mais au-delà de l’actualité immédiate, des interrogations de fond surgissent :Pourquoi ces communes ont-elles échappé à tout contrôle depuis plus d’une décennie ? Qui les protégeait ? Cette opération traduit-elle une volonté réelle de renforcer la reddition des comptes ? Ou s’agit-il d’un simple rééquilibrage politique à l’approche d’échéances électorales ?
Des zones hors contrôle ?
Selon des sources concordantes, certaines communes ont été systématiquement épargnées par les précédentes vagues d’inspection, malgré la proximité géographique de certaines d’entre elles avec des localités déjà contrôlées. Par exemple, une commune de la province de Berrechid n’a jamais été inspectée, bien que la commune de Berrechid, située à seulement 13 km, ait fait l’objet de contrôles. Et pourtant, le président de cette commune « oubliée » a été visé par un recours devant la Cour de cassation contestant son élection.
Même constat à Médiouna, dans la région de Casablanca-Settat, où une autre commune semble imperméable aux missions d’inspection, à l’exception d’une visite isolée de la Cour des comptes à la suite d’une demande de l’opposition municipale.
Des infractions graves… et une inertie centrale ?
Les informations recueillies font état de nombreuses plaintes adressées à l’administration centrale du ministère de l’Intérieur, accompagnées d’arrêts de justice, pointant des dysfonctionnements graves :
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Non-respect de l’article 35 de la loi organique 113.14 relatif à la convocation des conseillers aux sessions du conseil communal.
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Imposition de taxes illégales sur des terrains exonérés conformément à la loi 47.06 sur la fiscalité locale.
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Dysfonctionnements dans la perception de la taxe sur les terrains non bâtis.
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Suspicion de corruption dans les appels d’offres pour les travaux de forage, de construction de bornes-fontaines et d’extension de canalisations.
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Dépenses importantes engagées via des bons de commande douteux.
Fait alarmant : certaines communes comme Tit Mellil (dernière inspection en 2012) ou Sidi Hajjaj Oued Hassar (dernière inspection en 2010) n’ont pas reçu la moindre visite depuis plus d’une décennie, selon des documents internes.
Contexte national et international
Ce regain d’activité de l’IGAT intervient alors que les collectivités territoriales marocaines sont au cœur d’une crise de confiance, régulièrement pointée dans les rapports du Conseil supérieur des comptes ou ceux de Transparency Maroc, qui évoquent un manque de transparence et une gouvernance locale déficiente.
Sur le plan international, les normes de bonne gouvernance promues par la Banque mondiale ou le PNUD insistent sur le lien direct entre transparence, financement local et performance territoriale. Le Maroc est donc sommé de renforcer les mécanismes de contrôle et de redevabilité s’il veut honorer ses engagements internationaux.
Questions pour les décideurs et la société civile :
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L’État est-il enfin décidé à mettre fin à la protection implicite dont bénéficient certains élus ?
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Comment garantir l’indépendance et l’impartialité des missions d’inspection ?
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Quelles suites seront données aux rapports d’inspection ? Justice, sanctions, ou simple classement vertical ?
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La réforme du contrôle territorial sera-t-elle globale ou ponctuelle ?
Conclusion analytique :
Cette opération de l’IGAT ne doit pas être perçue comme une simple campagne de communication. Elle représente un test majeur de crédibilité pour l’État marocain, entre les exigences de redevabilité locale et les impératifs de moralisation de la vie publique.
La question n’est donc pas seulement de savoir qui sera inspecté, mais si le Maroc est prêt à établir une culture durable du contrôle démocratique dans la gestion territoriale.