À l’ère des transformations climatiques et des turbulences géopolitiques qui secouent les marchés mondiaux de l’énergie, le besoin se fait de plus en plus pressant d’institutions capables de conduire la transition énergétique avec efficacité et transparence. Mais les institutions marocaines sont-elles à la hauteur de cet enjeu crucial ? C’est ce que les députés de l’opposition ont remis en question au Parlement, en adressant de vives critiques à l’Agence Marocaine pour l’Efficacité Energétique (AMEE), s’interrogeant sur son rôle réel dans la construction d’une souveraineté énergétique durable et sur son engagement stratégique dans la feuille de route de la transition verte.
Lors d’une réunion de la Commission de contrôle des finances publiques et de la gouvernance, des députés de l’opposition ont appelé la Ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, Laila Benali, à mettre cette agence sous les projecteurs, afin de révéler la réalité de sa contribution à la réalisation du développement énergétique et climatique que l’État proclame, mais qui manque souvent d’indicateurs concrets pour en mesurer l’efficacité.
Un flou dans la gouvernance… et des lacunes dans les résultats
Le député Omar Annan du groupe socialiste – opposition fédérale, n’a pas hésité à qualifier la réalité de l’efficacité énergétique d’« échec provisoire », non pas parce qu’il s’agit d’un outil technique, mais parce que c’est un levier stratégique pour assurer la sécurité énergétique et la justice climatique. Face à la faiblesse des performances de l’agence — tant dans la réduction de la consommation énergétique que dans l’élargissement de l’accès aux services propres — de sérieuses questions sont posées quant à la pertinence de son maintien avec la même structure.
Annan a souligné ce qu’il appelle « le flou financier et administratif » qui caractérise le fonctionnement de l’agence, notamment en raison de l’absence de transparence, du manque de coordination avec les secteurs public et privé, et de la dispersion des programmes, ce qui menace de transformer cette institution en un fardeau bureaucratique au lieu d’un instrument efficace de la transition énergétique.
La question se pose donc : pourquoi l’agence n’a-t-elle pas réussi, depuis sa création, à élaborer des mécanismes clairs pour évaluer l’impact de ses interventions ? Comment est calculée « l’efficacité énergétique » en l’absence d’une base de données précise et fiable ? Ces programmes ne se sont-ils pas transformés en simples vitrines médiatiques, incapables d’atteindre le terrain ?
Avertissements des institutions de contrôle
Le débat parlementaire s’est appuyé sur des rapports d’institutions de contrôle, notamment la Cour des Comptes, qui avait déjà alerté en 2021 sur les risques menaçant la sécurité énergétique nationale, mettant en garde contre le manque de cohérence dans les politiques, l’absence de mécanismes stricts de gouvernance et de reddition des comptes au sein de l’agence. Les responsables politiques posent désormais des questions embarrassantes : les recommandations de la Cour ont-elles été prises en compte ? Les programmes sont-ils vraiment évalués selon des critères neutres, loin des complaisances institutionnelles ?
La députée Sakinah Lahmouch, du groupe du Mouvement Populaire, a ajouté une autre dimension au débat, s’interrogeant sur la faiblesse des résultats malgré plus d’une décennie d’existence de l’agence. Selon les chiffres de la Cour des Comptes, le taux d’économie d’énergie n’a pas dépassé 5,8 % en 2020, alors que le monde est engagé dans une course effrénée pour améliorer l’efficacité énergétique et réduire le coût environnemental.
La députée a également évoqué une « hémorragie des compétences », avec une baisse de 16,5 % des effectifs de l’agence depuis 2016, ainsi qu’un problème structurel majeur : le chevauchement des compétences entre l’agence et la Société d’Ingénierie Énergétique, affaiblissant la concentration des efforts et dispersant les ressources.
Questions ouvertes à l’heure de la transition énergétique
À la lumière de ces données, il semble urgent d’ouvrir un large débat national sur l’avenir de l’efficacité énergétique au Maroc, non seulement sous un angle technique, mais aussi comme un choix stratégique qui croise souveraineté économique, justice territoriale et justice climatique.
Avons-nous aujourd’hui une vision nationale intégrée de l’efficacité énergétique, ou nous contentons-nous de programmes fragmentés ?
Quelle place occupent les régions marginalisées dans ces politiques ?
Sommes-nous face à une stratégie de transition énergétique réelle, ou simplement à des opérations de verdissement cosmétique (« greenwashing ») commercialisées à l’international sans impact réel sur le terrain ?
En fin de compte, si l’efficacité énergétique est l’une des clés de l’avenir face aux crises climatiques et énergétiques, la transparence, la responsabilité et le professionnalisme doivent être des conditions non négociables. Sinon, l’échec dans la construction de ce chemin signifiera simplement le report de l’effondrement, et non sa prévention.