lundi, juillet 28, 2025
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Le Maroc à l’ère du numérique : légiférer pour protéger, investir pour bâtir ?

À une époque où les enfants deviennent parfois les visages involontaires de contenus viraux, et où les plateformes numériques redéfinissent les frontières entre vie privée, économie et culture, le ministre marocain de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, Mohamed Mehdi Bensaid, a affirmé devant le Parlement que le gouvernement s’apprête à légiférer sur la régulation de la création de contenu numérique, avec un accent particulier sur la protection des mineurs et des personnes vulnérables.

Mais au-delà de cette annonce, c’est tout un modèle culturel, économique et juridique que le Maroc est appelé à repenser :
Comment encadrer un secteur en pleine mutation sans étouffer la liberté d’expression ? Et comment transformer cette dynamique numérique en levier de développement inclusif ?

Quand l’enfant devient levier d’audience…

En réponse à une question parlementaire, le ministre a reconnu l’ampleur de l’exploitation des enfants et des personnes âgées dans certains contenus diffusés en ligne. Il a appelé à une prise de conscience collective, impliquant à la fois les familles, la société civile et les institutions publiques.

Ce phénomène, qui suscite des critiques croissantes dans l’opinion, pose une question de fond :Le Maroc a-t-il tardé à réguler un écosystème numérique en expansion rapide, où les plus faibles deviennent parfois objets de divertissement ?

Aujourd’hui, seule la législation pénale encadre certains abus, sans offrir de cadre spécifique adapté à la réalité de la création numérique. Un vide juridique que le gouvernement dit vouloir combler par un projet de loi à venir.

Mais : Une loi suffira-t-elle à éradiquer une logique virale déjà bien enracinée dans les pratiques numériques ?

Une industrie culturelle sous-exploitée

Le ministre n’a pas manqué de rappeler que la culture est aussi une industrie porteuse, appuyée par une étude de la Société Financière Internationale (IFC – Groupe Banque Mondiale), qui estime la contribution des industries culturelles au PIB marocain entre 2,7 % et 4 %, soit environ 35 milliards de dirhams.

À titre de comparaison, ce chiffre atteint 7,3 % dans certains pays développés. Le gouvernement marocain vise à porter cette contribution à 6 % à l’horizon 2030.

Le cinéma marocain, qui a généré plus de 1,5 milliard de dirhams, est cité comme exemple de secteur en essor. Mais au-delà des chiffres, la question est simple :
Le Maroc est-il prêt à investir sérieusement dans la culture comme moteur économique ?

Les infrastructures existent peu ou sont sous-utilisées, et les artistes peinent souvent à vivre de leur art. Alors que les plateformes numériques explosent, quelles politiques de formation, de financement et de diffusion sont mises en place pour faire émerger un contenu marocain de qualité ?

Jeux vidéo : ambition ou mirage ?

Autre volet prometteur : l’industrie du jeu vidéo. Le ministre a rappelé que ce secteur représente plus de 300 milliards de dollars à l’échelle mondiale, et pourrait atteindre 500 milliards dans dix ans. Le Maroc souhaite capter 1 % de cette manne d’ici 2033.

Ambitieux ? Certainement. Réaliste ? Rien n’est moins sûr.

Avec quel écosystème éducatif ? Quelle stratégie de formation des développeurs ? Quels investissements dans les incubateurs, les studios et les talents ?
La volonté politique suffira-t-elle sans un plan d’action multisectoriel cohérent ?

Valorisation du patrimoine : effet d’annonce ou stratégie durable ?

Le ministre a mis en avant les efforts pour préserver le patrimoine matériel et immatériel marocain, notamment à travers des accords avec l’UNESCO et l’ISESCO.
Cependant, plusieurs experts pointent un manque de moyens, de vision territoriale, et de coordination interinstitutionnelle, notamment dans les zones rurales.

Préserver la mémoire nationale nécessite plus que des déclarations : il faut des budgets, des compétences, et surtout une volonté de transmettre.

Un moment de bascule

L’intervention du ministre Bensaid intervient à un moment clé où le Maroc, comme d’autres pays, se trouve face à un choix stratégique :

  • Soit faire de la culture numérique un levier de développement inclusif,

  • Soit en rester à un consumérisme numérique désorganisé, avec les risques sociaux et éthiques que cela implique.

Pour cela, la régulation ne peut être punitive seulement ; elle doit être inspirante, incitative, participative, et visionnaire. Le contenu numérique, s’il est bien encadré, peut être un moteur d’emploi, de cohésion sociale et d’exportation culturelle.

Mais pour cela, encore faut-il que la politique culturelle cesse d’être marginale dans les priorités de l’État.

Conclusion :
L’annonce d’un projet de loi pour réguler les contenus numériques est un signal attendu, mais insuffisant si elle ne s’inscrit pas dans une stratégie globale de développement culturel, économique et éthique.

Le Maroc peut encore saisir cette opportunité pour devenir acteur dans le monde numérique, et non simple spectateur.

Mais comme toujours, le temps presse… et l’écran ne pardonne pas les hésitations.

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