À un moment crucial de l’histoire politique marocaine, une vive controverse a éclaté autour d’une transaction immobilière impliquant le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, son épouse, une institution bancaire et une fuite électronique attribuée à un groupe de hackers présumés algériens. Ce débat, bien qu’en apparence strictement juridique, soulève des questions plus profondes : la confiance des citoyens dans les institutions, l’intégrité de la classe politique et la solidité du principe de la reddition des comptes.
Violation de la Constitution ou dysfonctionnement du système ?
Quand un ancien chef de gouvernement, également ex-secrétaire général d’un parti ayant dirigé le pays, appelle à la démission du ministre de la Justice en l’accusant de « fraude dans un document officiel », il ne s’agit plus simplement d’un débat politique. C’est une épreuve grandeur nature de l’éthique du pouvoir, de l’effectivité du lien entre responsabilité et reddition de comptes, ainsi qu’un test de transparence pour les systèmes fiscal et judiciaire face à l’opinion publique.
Dans une sortie calculée sur sa page officielle, Abdelilah Benkirane n’a pas nommé Ouahbi, mais l’allusion était on ne peut plus claire.
L’accusation : le ministre aurait déclaré que la valeur d’un bien immobilier cédé à son épouse sous forme de don ne dépassait pas un million de dirhams, alors qu’il avait été hypothéqué quelques mois plus tôt contre un prêt de 11 millions de dirhams. L’écart n’est ni mineur ni technique : il alimente de sérieuses suspicions d’évasion fiscale.
Fuites numériques et vulnérabilité des institutions
L’affaire a éclaté suite à la fuite d’un document officiel par le groupe cyberactiviste « Jabroot », que plusieurs sources médiatiques relient à l’Algérie. Cet incident révèle non seulement les failles de la cybersécurité institutionnelle au Maroc, mais remet aussi en lumière de vieux questionnements sur la transparence dans la déclaration de patrimoine, et l’usage des donations comme levier légal pour contourner les obligations fiscales.
Concrètement, le contrat par lequel Ouahbi transfère la propriété du bien à son épouse en août 2024 stipule une valeur déclarée de seulement un million de dirhams. Or, quelques mois plus tôt, le même bien avait été utilisé comme garantie d’un prêt bancaire de 11 millions. Ce décalage a été interprété par ses détracteurs comme une forme de manipulation fiscale.
L’État face à ses responsabilités : justice sélective ?
L’opposition, notamment la Fédération de la gauche démocratique, a rapidement réagi en qualifiant l’affaire de « soupçon de corruption et d’abus de pouvoir » et en appelant à une enquête immédiate et transparente. Ce cri d’alarme reflète une inquiétude croissante dans l’opinion publique quant à la multiplication de cas d’impunité, particulièrement lorsqu’ils concernent des membres de l’exécutif.
Cela soulève une question plus large : la justice marocaine est-elle en mesure de statuer sur des dossiers impliquant des ministres en exercice ? Le parquet agira-t-il avec la même célérité que dans les affaires concernant des élus locaux accusés de détournement de fonds publics ? Et tous les citoyens sont-ils égaux face à la loi ?
Conflit d’intérêts : un symptôme institutionnel
L’affaire Ouahbi ne serait pas isolée. Elle s’inscrit dans une série de soupçons visant d’autres ministres accusés de conflits d’intérêts. La Fédération de la gauche a évoqué le cas d’une ministre soupçonnée d’avoir utilisé des informations liées à un plan d’urbanisme pour s’enrichir illicitement, ainsi que des opérations douteuses de cessions et marchés publics impliquant des entreprises proches du pouvoir.
Nous ne sommes donc plus face à des cas isolés, mais devant un schéma systémique qui menace la crédibilité des institutions élues et exécutives, et qui pose une question de fond : dispose-t-on réellement d’un dispositif efficace pour prévenir les conflits d’intérêts ? Ou les textes de loi existent-ils uniquement pour les ignorants ou les faibles ?
Le cœur du problème : justice fiscale et citoyenneté équitable
Des études de la Banque mondiale et de l’OCDE soulignent que la justice fiscale est essentielle à la consolidation de la confiance entre l’État et les citoyens. Lorsque ces derniers ont le sentiment que les élites politiques contournent les impôts ou manipulent les données à leur avantage, c’est l’un des fondements de la légitimité étatique — l’exemplarité — qui s’effondre.
Dans le cas marocain, les rapports du Conseil de la concurrence et de la Cour des comptes confirment une inégalité structurelle de la charge fiscale, où les classes moyennes supportent l’essentiel de l’effort tandis que certaines catégories de privilégiés bénéficient d’exemptions ou échappent au contrôle.
Ce qu’attend l’opinion publique
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Une enquête judiciaire indépendante, libre de toute influence politique.
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Une clarification officielle du ministre sur l’écart entre les deux valeurs déclarées du bien.
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La mise en œuvre effective de la déclaration obligatoire du patrimoine, croisée avec les données fiscales.
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Le renforcement de la cybersécurité institutionnelle, sans compromettre le droit des citoyens à la transparence.
En guise de conclusion : peut-on restaurer la confiance ?
Ce qui se joue aujourd’hui dépasse une simple affaire immobilière. Il s’agit d’une crise morale et institutionnelle : des ministres qui exigent des citoyens qu’ils respectent les règles fiscales, alors qu’eux-mêmes sont soupçonnés de les contourner. Et lorsqu’un ministre de la Justice — symbole de l’État de droit — est lui-même mis en cause, c’est toute la chaîne de légitimité démocratique qui vacille.
Pour qu’elle reste vivante, la justice doit aussi savoir se regarder en face. Refuser d’ouvrir une enquête sérieuse et publique sur cette affaire reviendrait non seulement à fuir les responsabilités, mais aussi à trahir l’esprit même de la Constitution, dont l’article 40 stipule que tous les citoyens, selon leurs capacités, doivent contribuer aux charges publiques, y compris fiscales.
Note finale :Les données mentionnées dans cet article proviennent de sources médiatiques accessibles au public, en particulier du site marocain « Assahafiya ». Ce texte n’a pas pour objet d’accuser ou de juger, mais de poser des questions légitimes dans le respect de la présomption d’innocence et des règles déontologiques du journalisme telles que définies par la loi n° 88.13 sur la presse et l’édition au Maroc.
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