Près de soixante ans après l’enlèvement de l’opposant marocain Mehdi Ben Barka au cœur de Paris, l’affaire ressurgit une nouvelle fois dans l’actualité, ravivant d’anciennes questions avec une tonalité renouvelée : Qui était derrière ce crime ? Pourquoi son corps n’a-t-il jamais été retrouvé ? Et des “forces invisibles” manipulent-elles encore les fils de ce dossier malgré le passage des générations ?
Dans une récente déclaration à l’Agence France-Presse (AFP), Bachir Ben Barka, fils du leader disparu, a exprimé un optimisme prudent quant à l’évolution de l’enquête, soulignant l’engagement sérieux de la nouvelle juge française en charge du dossier depuis un an, après une longue période d’inertie judiciaire. Ce qui distingue cette déclaration, c’est aussi la reprise d’éléments sensibles qui pourraient reconfigurer l’opinion publique : implication présumée du Mossad, et connaissance préalable de l’opération par les services français et américains.
Affaire politique ou théâtre de règlements de comptes ?
Lorsque Mehdi Ben Barka a été enlevé le 29 octobre 1965, il était un homme en conflit avec deux systèmes : celui du Maroc, qui l’avait condamné à mort par contumace, et celui de l’ordre international, qu’il dérangeait en militant pour les mouvements de libération, la non-alignement, et la cause palestinienne.
Depuis lors, l’affaire Ben Barka est devenue l’un des plus longs contentieux judiciaires de la Ve République française. Un dossier qui ne se ferme jamais, mais qui ne progresse que par à-coups, entre éclats médiatiques et retours à l’ombre.
Un complot international à plusieurs visages ?
Les déclarations récentes ramènent sur la table le scénario du “complot à plusieurs niveaux”, une théorie avancée dès les années 60, qui évoque une collaboration entre plusieurs services de renseignement : Mossad, CIA, services français, et des éléments internes marocains.
Ces acteurs, bien que motivés par des intérêts différents, auraient — selon cette hypothèse — convergé vers un objectif commun : neutraliser un homme devenu trop influent dans le contexte tendu de la guerre froide. Était-ce un crime d’État ? Une manœuvre inter-agences ? Ou un règlement de comptes au sein même des mouvements de libération ? Autant de questions sans réponse, que ni les décennies passées ni les débats actuels n’ont encore permis de trancher.
La position du Maroc officiel : entre retenue et prudence
Du côté marocain, aucun signal récent n’a clairement indiqué une volonté de rouvrir le dossier. Si, par le passé, certaines démarches ont laissé entendre une ouverture au dialogue judiciaire, l’affaire reste enveloppée d’un silence qu’on peut interpréter comme une prudence diplomatique… ou une crainte d’ouvrir une boîte noire qui dépasse l’État marocain pour toucher à ses relations avec des appareils d’États étrangers.
Une justice différée : témoins disparus et documents verrouillés
Selon Me Marie Dosé, avocate de la famille Ben Barka, le temps n’est pas forcément l’ennemi de la vérité. Il peut, au contraire, libérer la parole de témoins jusque-là silencieux, ou permettre la déclassification de documents sensibles, dans un contexte géopolitique renouvelé.
Mais en réalité, la majorité des documents que la France affirme avoir “déclassifiés” (plus de 80) figuraient déjà dans le dossier judiciaire, ce qui pousse Bachir Ben Barka à qualifier cette annonce de “mascarade”, et à accuser certains acteurs d’attendre la mort des derniers témoins pour enterrer définitivement l’affaire sans justice.
Conclusion ouverte : une réelle volonté de vérité ?
Entre un silence officiel persistant et l’espoir mesuré des proches de Ben Barka, une question demeure : le moment est-il venu d’ouvrir entièrement ce dossier avec courage et transparence ? Les États concernés — Maroc, France, Israël, États-Unis — auront-ils le courage politique de contribuer à l’établissement de la vérité, toute la vérité ?
Le temps passe, les témoins disparaissent… mais les questions de justice, elles, ne meurent jamais. Et c’est peut-être ce que redoutent ceux qui ont construit ce labyrinthe de silence.