Dans un contexte d’accélération des initiatives législatives au Maroc ces dernières années, deux projets de loi suscitent un intérêt et un débat croissants au sein des milieux juridiques, syndicaux et des droits humains. Le premier concerne l’organisation du droit de grève, le second la régulation de l’enregistrement audiovisuel dans les salles d’audience.
Ces deux projets se présentent sous les signes de « régulation » et de « codification », mais leur lecture attentive, à la lumière du contexte politique et social marocain actuel, soulève des questions profondes sur les véritables intentions et sur la limite entre protection des institutions et garantie des libertés constitutionnelles.
Cet article analytique vise à déconstruire les contenus de ces deux textes législatifs et à en explorer les implications communes, dans une démarche critique visant à impliquer l’opinion publique marocaine dans l’évaluation de choix législatifs susceptibles d’avoir un impact direct sur l’espace des libertés et la relation entre le citoyen, l’État et ses institutions.
Loi sur la grève : réglementation ou sanction ?
Depuis plusieurs années, le débat sur le droit de grève stagne, jusqu’à la présentation d’un projet de loi qualifié de « partial ». Les syndicats n’ont pas été véritablement consultés, et le gouvernement a fait passer un texte qui semble davantage viser à contrôler le mécanisme de la grève qu’à assurer son exercice.
Le texte restreint les conditions de déclaration de grève, accorde de larges pouvoirs à l’employeur pour la refuser et permet aux tribunaux de rendre des décisions rapides à son encontre. Il impose aussi des sanctions aux initiateurs et des procédures complexes qui réduisent le droit constitutionnel à une simple formalité différée.
La question essentielle : Si l’objectif est de protéger l’économie nationale, cela justifie-t-il de criminaliser la contestation collective ? N’existe-t-il pas d’autres moyens conciliant droit au travail et liberté d’expression ?
Loi sur l’interdiction de filmer les audiences : protection de la justice ou musèlement de la documentation ?
Parallèlement, un projet de loi interdit le filmage des procès sans autorisation et le classe parmi les infractions pénales. En apparence, ce texte vise à protéger la dignité de la justice et la confidentialité des parties, mais la pratique journalistique et les défenseurs des droits humains soulèvent de sérieuses interrogations :
Qui décidera de l’autorisation ou de l’interdiction ? Ce texte sera-t-il utilisé pour empêcher la documentation des abus ou comme un outil pour fermer davantage l’espace public ?
La captation audiovisuelle dans les tribunaux n’a jamais été anarchique au Maroc, elle se fait majoritairement hors salle d’audience. Avons-nous besoin d’une loi pénale à cet effet, ou plutôt d’un cadre réglementaire respectueux de la liberté d’information et d’expression ?
Quel lien entre ces deux lois ?
À première vue, ces deux lois semblent sans rapport, mais elles partagent une logique commune :
Le contrôle, la régulation et la restriction de l’espace public, qu’il soit sonore ou visuel.
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La première cible la protestation collective dans la rue et sur les lieux de travail.
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La seconde vise la protestation symbolique et visuelle dans les salles d’audience.
Dans les deux cas, le fil conducteur est la limitation de l’expression publique.
Réforme ou domination ?
Dans ces deux projets, le moment choisi et le contexte interpellent :
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Pourquoi la loi sur la grève est-elle présentée dans un contexte de recul du dialogue social ?
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Pourquoi la loi sur l’interdiction de filmer survient-elle après une série de procès qui ont suscité un vif débat public et des controverses sur la transparence ?
Sommes-nous face à une réforme législative équilibrée entre droits et devoirs, ou à une opération législative sélective visant à maîtriser l’espace public par des moyens pénaux ?
Que faut-il réellement ?
Nous avons besoin de réformes véritables, fondées sur le dialogue et la participation. Des lois construites avec les syndicats et la société civile, non contre eux.
Il faut distinguer entre régulation nécessaire et répression voulue. Tous les contrôles ne sont pas des réformes, pas plus que toute sanction n’est une protection.
Conclusion ouverte : questions pour l’avenir
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L’autorité est-elle en train de créer un arsenal juridique restreignant les droits au nom de l’ordre ?
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Sommes-nous face à une mauvaise gestion législative manquant de vision équilibrée ?
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Qui garantit que ces lois ne deviendront pas un outil pour faire taire les voix et obscurcir les images ?
C’est une lutte pour l’espace public, non seulement entre l’État et le citoyen, mais entre ceux qui veulent construire un État de droit et ceux qui imposent la loi de l’État.