Dans une démarche qualifiée de « stratégique et qualitative », le ministère israélien de l’Économie et de l’Industrie a annoncé la nomination de M. Avihai Levin en tant que premier attaché économique israélien au Maroc. Il prendra ses fonctions à l’été 2025 au sein du bureau de liaison israélien à Rabat, à la tête de la mission économique de l’État hébreu. Mais derrière cette initiative à première vue technique, se posent des questions de fond : assistons-nous au passage d’un discours de normalisation à un ancrage dans le réel ? S’agit-il d’une volonté politique marocaine assumée, ou d’un prolongement inévitable des Accords d’Abraham signés en 2020 ?
■ Un attaché économique à Rabat : la symbolique du temps et du lieu
Israël a choisi de renforcer sa présence à Rabat non pas à travers la culture ou la diplomatie classique, mais en installant une représentation économique directe. Cette décision survient dans un contexte régional sensible, marqué par l’escalade des violences dans les territoires palestiniens occupés et par un rejet populaire croissant au Maroc face à toute forme de normalisation.
Le ministère israélien présente cette ouverture comme un « tournant » dans ses relations avec le Maroc, misant sur des échanges dans des secteurs comme l’innovation agricole, la gestion de l’eau ou la technologie, en s’appuyant sur « les nouvelles opportunités offertes par les accords avec les pays arabes ».
■ De la symbolique à l’ancrage institutionnel ?
Depuis 2020, les relations maroco-israéliennes ont évolué principalement sur le plan sécuritaire ou à travers des échanges commerciaux discrets. Mais aujourd’hui, Israël cherche à institutionnaliser sa présence économique. Selon des responsables israéliens, les échanges commerciaux ont atteint près de 47 millions de dollars en 2022, un chiffre qui devrait augmenter avec l’ouverture des secteurs productifs marocains aux entreprises israéliennes.
Mais derrière ces données, une question essentielle reste posée : le Maroc officiel est-il prêt à aller plus loin malgré une opinion publique en grande partie hostile ?
■ Le contexte marocain : entre ambiguïté officielle et rejet sociétal
L’initiative israélienne s’inscrit dans un climat de rejet massif du public marocain vis-à-vis de la normalisation. Les récentes marches de solidarité avec la Palestine, notamment après l’agression sur Gaza, ont illustré l’ancrage profond de la cause palestinienne dans l’imaginaire collectif marocain. Plusieurs syndicats et associations professionnelles – notamment dans l’éducation et la santé – ont également manifesté leur opposition à toute forme d’« infiltration israélienne ».
Face à cela, le silence officiel marocain est notable. Aucune communication gouvernementale n’a été émise concernant cette nomination, dans une posture de prudence diplomatique constante depuis 2020. Ce flou est-il un aval tacite ou un simple calcul pour éviter l’affrontement avec la rue ?
■ L’économie, cheval de Troie d’une normalisation plus large ?
Cette évolution s’inscrit dans une stratégie de normalisation par étapes : culturelle d’abord, universitaire ensuite, et désormais économique. Pour nombre d’analystes, le vecteur économique – bien que présenté comme apolitique – est une porte d’entrée vers une normalisation plus globale, qui pourrait toucher l’opinion, les médias, voire les programmes éducatifs.
L’insistance sur les « bénéfices économiques » masque souvent la portée politique et identitaire de cette dynamique, surtout dans un pays où la solidarité avec la Palestine est historiquement forte.
■ Conclusion : l’économie peut-elle redéfinir la mémoire collective ?
La nomination d’un attaché économique israélien à Rabat pourrait sembler anodine, mais elle traduit un changement de paradigme dans la stratégie israélienne vis-à-vis du Maghreb. Il ne s’agit plus de tester la normalisation, mais de l’imposer par l’économie.
Mais le pragmatisme économique peut-il supplanter des décennies de solidarité populaire ? La promesse de « profits mutuels » suffira-t-elle à faire oublier que pour beaucoup de Marocains, la Palestine reste une cause nationale sacrée, non négociable ?
Les réponses restent ouvertes. Ce qui est certain, c’est que la normalisation économique n’est plus une hypothèse : elle devient une réalité discrète mais persistante… En attendant la réaction de la société, et celle de l’État aussi.