Alors que le gouvernement martèle ses slogans sur « l’État social » et les « opportunités d’emploi », une étude de terrain révélatrice, menée par le centre Afrobarometer, met en lumière un écart criant entre le discours officiel et la réalité vécue par les jeunes Marocains : 28 % d’entre eux envisagent sérieusement de quitter le pays, tandis que 86 % expriment leur insatisfaction vis-à-vis des efforts du gouvernement pour stabiliser les prix.
La question est posée : qui décide réellement de ces politiques ? Qui en subit les conséquences ? Et surtout, qui bénéficie du statu quo ?
Entre optimisme suspendu et désir d’exil
L’étude révèle un paradoxe troublant : 73 % des jeunes pensent que le pays avance dans la bonne direction, et 54 % s’attendent à une amélioration économique dans l’année à venir. Pourtant, cette confiance apparente coexiste avec un constat alarmant : plus d’un quart des jeunes songent activement à l’émigration, soit une augmentation de 8 points par rapport à 2017.
Cela soulève une interrogation majeure :
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Cet « optimisme » est-il sincère ou simplement l’expression d’une résignation face à l’absence d’alternatives concrètes ?
Chômage et dignité bafouée : les moteurs d’une fuite silencieuse
Selon les résultats, le chômage est le principal moteur de l’envie de départ. Parmi les jeunes ayant envisagé l’émigration, 54 % cherchent avant tout un meilleur emploi. Ce chiffre s’inscrit dans un contexte de crise structurelle du marché de l’emploi marocain, où les diplômés sont souvent les plus touchés par le sous-emploi.
D’autres facteurs aggravants ressortent :
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34 % pointent une inadéquation entre la formation et les besoins du marché,
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18 % évoquent un manque d’expérience pratique,
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21 % déclarent être en recherche active d’emploi.
Cela invite à poser une question dérangeante :
Les politiques publiques destinées à la jeunesse font-elles réellement l’objet d’une évaluation transparente et d’un suivi efficace ?
Coût de la vie : le feu sous la glace des promesses
L’étude souligne un second facteur clé : la flambée continue des prix et le coût de la vie.
86 % des jeunes interrogés estiment que le gouvernement échoue à stabiliser les prix.
Face à cela, le silence ou l’inefficacité des politiques pose un problème de gouvernance :
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Quelles mesures concrètes ont été prises pour lutter contre la spéculation, la sécheresse, ou les inégalités d’accès aux biens de base ?
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Pourquoi les circuits de distribution restent-ils dominés par des intérêts opaques, souvent à l’abri de toute reddition des comptes ?
L’émigration : d’un choix personnel à un réflexe collectif
Les données dépeignent une mosaïque de sentiments :
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34 % des jeunes ne pensent pas à émigrer,
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21 % y songent « modérément »,
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15 % « un peu »,
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et 28 % y pensent « sérieusement ».
Ce glissement traduit une mutation inquiétante : l’émigration n’est plus l’apanage d’une élite ou d’une minorité désespérée, mais devient une réponse généralisée à une perte de confiance institutionnelle.
Restaurer la confiance : un chantier en péril
Malgré tout, 20 % des jeunes reconnaissent les efforts gouvernementaux en matière d’emploi. Un chiffre modeste, mais qui témoigne d’un espoir fragile qu’il est encore possible de sauver.
Mais cela suffit-il ?
Le gouvernement mesure-t-il à quel point ce fil de confiance peut se rompre à tout moment s’il n’est pas nourri par des actes, de la transparence et une politique de proximité ?
Conclusion d’enquête : entre enracinement et exode
Ce que révèle cette étude, au-delà des chiffres, c’est une fracture affective et existentielle entre une jeunesse et son pays. Pour nombre de jeunes, partir n’est plus une envie, mais une stratégie de survie, une échappatoire à une politique perçue comme sourde et injuste.
Loin d’être une simple fuite devant la pauvreté, l’émigration devient le produit direct d’un empilement de frustrations : politiques publiques défaillantes, déséquilibres sociaux, manque d’équité et d’écoute.
La vraie urgence n’est pas seulement économique. Elle est morale, institutionnelle, et profondément politique : comment rebâtir une relation de confiance entre l’État et sa jeunesse ? Qui assumera la responsabilité si, demain, l’avenir du pays continue de s’écrire depuis les ports d’embarquement ?