Dans un contexte mondial en mutation, où les enjeux énergétiques se mêlent aux défis climatiques, sécuritaires et diplomatiques, le Maroc avance à pas stratégiques vers ce que l’on peut désormais appeler une « souveraineté énergétique planifiée ». La ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, Leila Benali, n’a pas seulement évoqué au Parlement des pipelines ou des terminaux, mais a dévoilé les contours d’un projet national structurant, ancré dans une vision long terme visant à renforcer la résilience économique et l’autonomie énergétique du Royaume.
Une feuille de route pour une souveraineté affirmée ?
Le développement du gaz naturel au Maroc n’est plus perçu comme une simple alternative énergétique. Il est désormais inscrit dans une logique géostratégique où l’indépendance énergétique devient un pilier fondamental de la compétitivité industrielle et de l’attractivité territoriale.
Mais la question se pose :Le Maroc peut-il bâtir un marché gazier autonome, en dehors des dépendances régionales, notamment après l’arrêt du flux gazier algérien en 2021 ?
De l’infrastructure à la gouvernance : une vision cohérente ?
La feuille de route présentée inclut la création d’une station GNL au port de Nador West Med, son interconnexion au Gazoduc Maghreb-Europe (GME), ainsi que le développement de réseaux de distribution vers Kénitra, Mohammedia et plus tard vers les futures plateformes gazières de l’Atlantique.
Cette coordination multi-institutionnelle (11 ministères et 5 établissements publics) est inédite. Elle soulève toutefois plusieurs interrogations :
-
Assiste-t-on à l’émergence d’un nouveau modèle marocain de gouvernance énergétique ?
-
L’État dispose-t-il des capacités d’exécution pour concrétiser cette vision à moyen terme ?
Le gaz au service de l’industrie verte : ambition ou nécessité ?
Le Maroc mise sur le gaz naturel comme levier pour la décarbonation, afin d’anticiper les exigences des marchés européens en matière de neutralité carbone à l’horizon 2030.
Mais cela suffira-t-il à créer un environnement compétitif pour attirer des investisseurs industriels internationaux ?
Dimension régionale : le Maroc futur hub énergétique de l’Afrique de l’Ouest ?
Le projet n’est pas isolé. Il s’inscrit dans une dynamique continentale, notamment avec le gazoduc Nigéria-Maroc. Le raccordement prévu entre Nador et la future infrastructure ouest-africaine via Dakhla offre une projection géopolitique claire.
Mais :
-
Le Maroc pourra-t-il devancer le projet concurrent Nigéria-Algérie ?
-
Et jusqu’où ira son ambition de devenir une plateforme énergétique africaine connectée à l’Europe ?
Un cadre légal à la hauteur ?
Un projet de loi encadrant l’importation, le stockage, le transport et la distribution du gaz est en cours. Il vise à créer un cadre juridique transparent et incitatif, fondé sur la bonne gouvernance et la sécurité juridique.
Mais :
-
Sera-t-il réellement efficace pour sécuriser les investissements ?
-
Et quelles garanties offriront les autorités aux opérateurs privés dans un secteur aussi stratégique ?
Conclusion analytique : entre ambition nationale et réalités du terrain
La stratégie annoncée par Leila Benali porte les germes d’une transformation énergétique profonde. Toutefois, pour qu’elle réussisse, elle doit s’appuyer sur :
-
une planification rigoureuse,
-
un financement pérenne,
-
et une communication transparente avec les citoyens et les investisseurs.
Le Maroc est-il sur le point de transformer le gaz naturel en pilier de sa souveraineté énergétique et diplomatique, ou ce projet restera-t-il dans la catégorie des promesses ambitieuses confrontées aux défis structurels ?