Dans un silence officiel pesant et une discrétion inhabituelle, se dessinent peu à peu les contours de l’une des affaires les plus complexes que connaît la capitale, Rabat. L’enquête menée par la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ) croise les trajectoires de plusieurs responsables de la commune, d’anciens agents de sécurité et de figures civiles, dans ce qui est désormais médiatiquement désigné comme « l’affaire El Mehdi Hajjaoui », ancien cadre au sein de la Direction générale des études et de la documentation (DGED), aujourd’hui en fuite en Espagne dans des circonstances encore obscures.
Un simple permis… et le fil d’un réseau s’étend de Rabat à Madrid
Les informations publiées par le site « Nishan » indiquent que le point de départ de l’enquête serait lié à un permis d’ouverture d’un local commercial, à l’origine de la mise à l’écart du directeur général des services et du chef du département d’urbanisme, avant leur remise en liberté provisoire. Mais très vite, l’affaire s’est élargie à toute personne ayant eu des liens ou des transactions financières suspectes avec Hajjaoui.
Fait marquant : les investigations se sont étendues à des responsables sécuritaires, dont un ancien chef de la circulation à Rabat. Les enquêteurs ont découvert une relation directe entre ce dernier et Hajjaoui, incluant la coordination de voyages, de séjours hôteliers, ainsi que divers services sortant du cadre administratif ordinaire.
Quand les intérêts s’entremêlent…
Parmi les éléments révélés, figure l’intervention directe du responsable sécuritaire en faveur de la sœur de l’ex-épouse de Hajjaoui, pour faciliter l’obtention d’un permis d’ouverture d’un centre de bien-être (SPA), ainsi que l’enlèvement de conteneurs d’ordures situés à proximité du local, loué pour un montant estimé à 70 000 dirhams par mois. Bien qu’il ait nié avoir perçu des pots-de-vin, il fait néanmoins l’objet de poursuites pour « complicité d’abus d’influence ». Par ailleurs, il a continué d’exercer ses fonctions au sein de la commune, plaçant la maire dans une posture délicate, après la convocation de cette dernière par la BNPJ pour fournir des explications.
Un réseau aux ramifications multiples ?
Selon plusieurs sources médiatiques, l’enquête ne s’est pas limitée aux seuls responsables de la commune de Rabat. Elle s’est étendue à toute personne ayant un lien avec Hajjaoui, portant le nombre de mis en cause à sept individus, parmi lesquels un commissaire de police à la retraite, un responsable sécuritaire, et une femme décrite comme une « voyante ». Ce qui soulève la question de la nature du réseau que coordonnait Hajjaoui : agissait-il seul, ou faisait-il partie d’un dispositif plus vaste, relevant d’agendas occultes dépassant le cadre des fonctions publiques ?
Opacité institutionnelle ou protection d’intérêts supérieurs ?
L’absence de communication officielle sur le contenu des investigations et le refus des autorités d’éclairer l’opinion publique posent de réelles questions sur la transparence des institutions. On peut également s’interroger sur l’absence de réaction des organes de contrôle interne, alors même que l’affaire implique un ancien cadre d’un service de renseignement aussi stratégique que la DGED.
Dans un contexte international : le Maroc, vulnérable à l’exfiltration de ses secrets ?
La fuite de Hajjaoui vers l’Espagne rappelle des cas similaires dans d’autres pays, où d’anciens agents utilisent leurs anciens réseaux pour mettre en place des circuits d’influence ou faire circuler des informations sensibles. Dans cette perspective, l’affaire s’inscrit dans un cadre plus large, posant des questions sur la sécurité informationnelle, l’intégrité des institutions et l’indépendance des organes de contrôle.
Ce que nous savons… et ce que nous devons découvrir :
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Quel était exactement le rôle d’El Mehdi Hajjaoui au sein de la DGED ?
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Jusqu’où s’étendait son influence dans les appareils civils et sécuritaires ?
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Pourquoi la coordination entre les services n’a-t-elle pas permis d’empêcher sa fuite ?
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Où s’arrête la responsabilité politique dans cette affaire ?
Conclusion : Après la fuite… un Maroc en quête de redevabilité ?
La fuite d’El Mehdi Hajjaoui n’est pas un simple acte individuel. Elle est révélatrice de dysfonctionnements profonds dans le système de redevabilité au Maroc, notamment lorsqu’il s’agit de figures opérant dans les zones d’ombre de l’appareil institutionnel.
C’est l’occasion, peut-être unique, de refonder une culture de la gouvernance rigoureuse, en liant responsabilité et reddition des comptes, non pas à travers des slogans ou des communiqués, mais par l’activation effective des outils de contrôle, des enquêtes sérieuses, et une exigence de responsabilité politique.
Car l’absence de vérité ne signifie pas l’absence de faits. Et le silence ne saurait annuler l’impératif de justice.