Près d’un demi-siècle après l’une des tragédies humaines les plus douloureuses de l’histoire des relations maroco-algériennes, la blessure des Marocains expulsés arbitrairement d’Algérie en 1975 reste béante. Loin d’être refermée, elle continue de hanter la mémoire collective nationale, en quête de reconnaissance, de justice et de réparation.
C’est à cette mémoire que la chaîne Al Ayoune a choisi de rendre hommage dans son émission hebdomadaire « Maâ Ennass », consacrée à la douloureuse histoire de ce que l’on appelle aujourd’hui « la Marche noire » – un terme opposé à celui de « Marche verte », organisée la même année par le Maroc pour recouvrer ses provinces sahariennes.
À l’époque, alors que les musulmans à travers le monde célébraient l’Aïd al-Adha, les autorités algériennes ont brusquement arrêté des dizaines de milliers de Marocains vivant légalement sur leur sol, les ont regroupés dans des commissariats avant de les expulser de force vers les frontières ouest, en direction du territoire marocain. Environ 45 000 familles marocaines ont été ainsi déracinées dans des conditions humiliantes, accompagnées de violations graves des droits humains : maltraitances, violences physiques, détentions arbitraires, confiscation de biens, pressions psychologiques et actes d’intimidation.
Les témoignages recueillis dans l’émission relatent des récits bouleversants de faim, de froid glacial, de séparation familiale forcée, de nuits passées à la belle étoile, le tout dans une ambiance de détresse totale. Autant d’histoires qui confèrent à cet épisode l’ampleur d’un drame national, encore largement sous-estimé à l’échelle internationale.
Dans cette émission percutante, Maître Mohamed Lakbir, avocat au barreau de l’Oriental et membre de l’Association des Victimes de l’Expulsion, et Jamal Al-Othmani, écrivain et l’un des survivants, ont livré des témoignages poignants. Des documents et preuves irréfutables ont été présentés pour rappeler le rôle considérable des Marocains dans le soutien à la Révolution algérienne contre le colonialisme français, ainsi que dans l’édification de l’État algérien naissant. Ce paradoxe soulève une question fondamentale : comment un pays ayant bénéficié de la solidarité marocaine a-t-il pu tourner le dos à ces familles, allant jusqu’à les expulser en masse et dans la violence ?
Cette rediffusion soulève également un ensemble d’interrogations actuelles :
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Pourquoi ce dossier reste-t-il absent des agendas diplomatiques ?
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Qu’attend la communauté internationale pour reconnaître ce qui s’apparente à un crime contre l’humanité ?
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Et surtout, à quand des excuses officielles de l’État algérien et des mesures concrètes de réparation morale et matérielle ?
Dans un contexte régional toujours marqué par les tensions entre Rabat et Alger, la réouverture de ce dossier revêt une dimension symbolique forte. Il s’agit d’un combat pour la vérité historique et pour la justice, mais aussi d’une nécessité morale pour réconcilier les peuples dans le respect de leur mémoire commune.
La « Marche noire » ne doit pas sombrer dans l’oubli. Elle incarne une blessure vive dans le corps de la mémoire marocaine et maghrébine, une tragédie qui appelle encore, avec insistance, à la reconnaissance, à l’équité et au devoir de mémoire.