Dans un contexte reflétant une crise industrielle et juridique complexe, l’affaire de la société Samir, unique raffinerie de pétrole au Maroc, revient sur le devant de la scène nationale, impulsée par une nouvelle mobilisation syndicale menée cette fois par Houcine Yamani, secrétaire général du Syndicat national du pétrole et du gaz et président du Front national pour la sauvegarde de la raffinerie. Ses avertissements répétés ne sont plus de simples cris syndicaux, mais constituent aujourd’hui un appel stratégique à un moment où le Maroc fait face à des défis imbriqués en matière de sécurité énergétique et d’indépendance économique.
De la liquidation au défi : les antécédents de la décision et l’absence d’alternatives
La décision du tribunal de commerce de Casablanca en 2016 de suspendre les activités de Samir et d’entamer la liquidation judiciaire a constitué un choc pour la souveraineté industrielle nationale. Cette décision était-elle une mesure d’urgence pour faire face à une faillite technique, ou le résultat d’une orientation stratégique visant à affaiblir l’industrie lourde au profit des lobbies de l’importation ?
Dans sa dernière déclaration, Houcine Yamani souligne que le gouvernement « s’est déchargé de ses responsabilités » en protégeant une installation nationale qui assurait plus de 60 % des besoins nationaux en produits pétroliers raffinés, ce qui nous amène à une question centrale : l’État marocain est-il capable – ou désireux – de protéger ses institutions stratégiques face à une mondialisation économique qui se nourrit de privatisations et de démantèlements ?
La dimension géostratégique : le Maroc prend-il des risques avec sa sécurité énergétique ?
La fermeture de Samir n’a pas seulement affaibli la capacité de production nationale, mais a également rendu le Maroc dépendant des marchés internationaux volatils, avec une augmentation du coût des importations dans un contexte de crises énergétiques mondiales influencées par les conflits, le changement climatique et la fluctuation des prix du pétrole.
Ici, l’appel de Houcine Yamani à nationaliser la raffinerie ou à la relancer en tant qu’entreprise mixte entre les secteurs public et privé apparaît comme une option réaliste pour récupérer une partie de la souveraineté économique. Cette option semble d’autant plus urgente que le Royaume cherche à diversifier ses partenariats avec les pays du Golfe et à l’international. La diplomatie économique peut-elle être mobilisée pour relancer Samir grâce à des partenariats arabes, comme le suggère le syndicat ?
La dimension sociale : Samir n’est pas seulement une usine
Houcine Yamani nous rappelle que Samir n’est pas simplement une unité industrielle, mais une « mémoire sociale » abritant 1 200 travailleurs et retraités vivant aujourd’hui dans la marginalisation et l’absence de perspectives. L’absence de salaires, le retard des pensions et l’érosion de la dignité professionnelle ont transformé le dossier en une bombe sociale à retardement.
Le sit-in du 26 mai, organisé par le syndicat, et la mobilisation nationale prévue le 26 juin, annoncent une transformation du dossier d’une « affaire syndicale » en une « affaire d’opinion publique » susceptible de mettre le gouvernement dans l’embarras tant sur le plan national qu’international.
4. Le silence de l’État… et les pièges judiciaires
Bien que le tribunal de commerce continue de superviser la liquidation, l’absence de toute décision décisive ouvre la voie à des théories sur l’existence de lobbies cherchant à acquérir les actifs de Samir à bas prix. De plus, le silence du gouvernement affaiblit la confiance de l’opinion publique dans la volonté de l’État de protéger les actifs nationaux, ce qui nous amène à nous interroger : y a-t-il des conflits d’intérêts au sein même des institutions de l’État ?
Houcine Yamani ne se contente pas d’analyser, il tient clairement le gouvernement et le parlement responsables du blocage des solutions, appelant à un débat national franc sur l’avenir du secteur des hydrocarbures.
De la protestation à la reconquête : un nouveau chapitre pour Samir ?
La déclaration de Houcine Yamani n’est pas une simple réaction, mais le lancement d’une nouvelle phase de lutte : une lutte de conscience, de mémoire et de décision. L’État écoutera-t-il la voix de la raison syndicale ? Pouvons-nous repenser Samir comme un modèle économique alternatif alliant efficacité et capital national ?
Conclusion stratégique : Samir, un test pour le modèle de développement
L’affaire Samir reflète aujourd’hui une crise de choix économiques accumulés depuis des décennies, mais elle représente également une opportunité de construire un nouveau consensus autour des secteurs stratégiques. Comme l’a déclaré Houcine Yamani : « Il n’y a pas d’avenir pour l’énergie nationale sans une volonté politique réelle reconnaissant que Samir était – et reste – une partie de l’équation de la souveraineté. »
Si le Maroc aspire à jouer un rôle régional en Afrique et dans le monde arabe, le contrôle de ses outils énergétiques est une condition essentielle pour l’influence et l’indépendance.
Samir n’est pas une crise, mais une porte d’entrée vers une souveraineté industrielle possible… à condition qu’elle soit ouverte.