Par la Rédaction – D’après une réflexion de Aziz Rabbah, ancien ministre et président du mouvement « Maroc de la Civilisation »
L’annonce de la victoire de l’architecte marocaine Salima Naji à la Biennale de Venise, où elle a remporté le prestigieux Prix mondial d’architecture durable, est bien plus qu’une reconnaissance individuelle. C’est une occasion précieuse de questionner nos choix de développement, nos politiques de construction, et plus largement notre rapport à notre propre génie national.
Salima Naji n’est pas simplement une architecte de talent. Elle est porteuse d’une vision : celle d’un Maroc enraciné dans son identité, mais résolument tourné vers l’avenir. À travers ses projets de valorisation du patrimoine – kasbahs, greniers, villages fortifiés – elle milite pour une architecture éthique, résiliente et ancrée dans les savoir-faire locaux.
Son travail repose sur des matériaux issus du sol marocain, adaptés aux contraintes climatiques et sismiques. Il conjugue durabilité écologique et durabilité culturelle. Une double exigence que l’urbanisme contemporain ignore souvent au profit d’une logique importée, énergivore, déconnectée du territoire.
Mais cette distinction internationale soulève une question cruciale : et si le Maroc détenait déjà les clefs de son propre modèle de développement ?
Quand la souveraineté commence par la brique locale
Dans sa tribune, Aziz Rabbah rappelle avec insistance l’importance stratégique de l’ »option marocaine » dans les politiques publiques d’investissement, d’urbanisme et d’aménagement. Ce plaidoyer n’est pas nouveau : en 2012, en tant que ministre de l’Équipement, il avait imposé la préférence nationale dans les marchés publics, faisant passer la part des entreprises marocaines de 37% à plus de 90% dans certains secteurs comme les routes, les barrages ou les ports.
Ce virage vers le local n’est pas un repli. Il est une réappropriation rationnelle de notre potentiel national : matériaux abondants, main-d’œuvre qualifiée, traditions artisanales vivantes, climat propice à l’innovation bioclimatique… Autant d’atouts souvent négligés au nom d’une modernité standardisée et importée.
Le modèle Salima Naji : vers une stratégie intégrée ?
Et si l’on voyait dans l’œuvre de Salima Naji le socle d’une politique nationale ambitieuse, qui croiserait :
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la lutte contre la précarité énergétique et les logements indignes,
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la préservation du patrimoine rural et saharien,
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le renforcement de l’économie verte et de la souveraineté industrielle,
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le développement d’un tourisme culturel durable,
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et surtout, la restauration d’un lien affectif entre les Marocains et leur architecture ?
Une telle vision suppose de revoir en profondeur nos référentiels normatifs, nos manuels d’ingénierie, et même nos imaginaires urbanistiques.
L’heure d’un choix stratégique : marocaniser la commande publique
À l’heure où des milliards de dirhams sont injectés dans les infrastructures, la question n’est plus « si » mais « comment » garantir une véritable souveraineté productive. Qui conçoit ? Qui construit ? Avec quels matériaux ? Et pour qui ?
Le message de Rabbah est sans ambiguïté : tout dirham public devrait d’abord renforcer les chaînes de valeur marocaines. Pas par chauvinisme, mais par efficacité. Par justice aussi : pourquoi subventionner, indirectement, des importations de béton ou de design hors-sol alors que l’excellence existe ici, reconnue par les plus grands prix internationaux ?
Et maintenant ?
L’exemple de Salima Naji doit nous amener à penser plus large. Quid d’une stratégie nationale pour l’architecture durable et patrimoniale, impliquant les universités, les régions, les artisans et les start-ups du bâtiment écologique ? Pourquoi ne pas inscrire cette orientation dans la Charte nationale de l’investissement ?
Le Maroc n’a pas besoin de copier pour briller. Il doit oser capitaliser sur son identité, non pas comme folklore figé, mais comme ressource dynamique.
Conclusion : fierté, responsabilité et vision
Au fond, ce texte n’est pas une simple célébration. Il sonne comme une alerte douce mais déterminée : « faisons confiance à ce que nous sommes ». Du patrimoine architectural à la plante médicinale, des kasbahs aux routes nationales, c’est une même cohérence qu’il nous faut retrouver : celle d’un développement enraciné, souverain, et créatif.