Dans une séquence politique révélatrice des tensions entourant les instruments de la transparence, le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a fermement rejeté les amendements proposés par le groupe parlementaire du Parti de la justice et du développement (PJD) concernant l’article 3 du projet de Code de procédure pénale. Cet article concerne les conditions de signalement de la corruption par les associations de lutte contre ce fléau.
Ce rejet ne fut pas un simple refus technique : le ministre est allé jusqu’à jurer publiquement qu’il n’accepterait « aucun amendement » à cette disposition. Ce serment suscite des interrogations sur les limites de l’autorité ministérielle et sur le respect du processus parlementaire. Le député Abdellah Bouanou y a vu une « atteinte aux institutions », rappelant que la loi se fait au Parlement, et non selon des convictions personnelles, aussi « absolues » soient-elles.
Que dit l’article 3, et pourquoi fait-il controverse ?
L’article 3 impose des conditions strictes aux associations qui souhaitent dénoncer des faits de corruption. Elles doivent être reconnues d’utilité publique et avoir un historique d’activité continue dans ce domaine. Pour les défenseurs de la société civile, il s’agit d’une entrave à la démocratie participative et à la citoyenneté active.
Pourquoi limiter le droit de signalement à un cercle restreint d’associations « agréées » ? Cette condition n’équivaut-elle pas à filtrer l’accès à la vérité ?
Certains analystes y voient une volonté de contrôler politiquement les mécanismes de transparence, en excluant les acteurs jugés trop critiques ou « hors système ».
Retrait tactique ou réalignement politique ?
Fait notable : les groupes de l’opposition PPS (Parti du Progrès et du Socialisme) et le groupe haraki ont retiré leurs amendements, pourtant similaires à ceux du PJD. Est-ce un signe de calcul politique face à l’intransigeance du ministre ? Ou une tentative d’éviter une confrontation directe avec la majorité ?
Quelle lecture donner à ce recul ? S’agit-il d’une fracture dans l’opposition, ou d’une reconnaissance tacite du rapport de force ?
Le PJD, en revanche, a persisté, et ses deux seuls députés présents ont voté pour l’amendement. Tous les autres groupes se sont abstenus ou ont voté contre.
Constitution contre conviction personnelle ?
La Constitution marocaine, notamment dans ses articles 12 et 13, reconnaît un rôle central aux associations dans la bonne gouvernance. En insistant sur une rédaction qui restreint ce rôle, le gouvernement ne crée-t-il pas une contradiction juridique ?
Le droit à l’information et à la participation est-il réel ou simplement décoratif ? L’article 3, tel qu’il est proposé, est-il conforme à l’esprit de la Constitution ?
Quand la « conviction absolue » supplante le débat
La posture de Ouahbi illustre une tendance : le verrouillage politique d’une matière qui, par essence, devrait rester ouverte à l’expression collective. Si le ministre reconnaît qu’il pourrait accepter un bon argument en plaisantant sur un jeûne de trois jours, le message est clair : la marge de discussion est quasi nulle.
Peut-on continuer à parler de dialogue législatif quand un ministre dicte par avance les règles du jeu ?
Conclusion analytique :
Derriere l’article 3 se joue une bataille silencieuse mais cruciale sur la place du citoyen dans la lutte contre la corruption. En restreignant les canaux de signalement, l’État marocain semble vouloir centraliser la parole légitime, au risque de décourager les efforts citoyens.
La question demeure : la révision du Code de procédure pénale est-elle une réforme pour plus de justice, ou un réglage institutionnel pour plus de contrôle ?
Et si la vraie question était : qui décide de ce qu’est la « bonne » transparence ?