Dans un précédent qui pourrait accroître son isolement politique, Abdelilah Benkirane, secrétaire général du Parti de la Justice et du Développement (PJD) marocain, fait face à une action en justice déposée par le parti « Nous Pouvons », l’accusant « d’atteinte à la dignité de larges franges du peuple marocain » après avoir qualifié ses adversaires de « microbes » et « d’ânes » dans un discours public.
Mais que révèle cette explosion verbale d’une crise interne plus profonde que vit Benkirane ? Son langage est-il passé d’outil d’influence politique à fardeau judiciaire et moral menaçant ce qui reste de son image de leader ?
D’un discours mobilisateur à une explosion verbale
Lors d’un discours pour les célébrations du 1er mai, Benkirane a lancé une attaque virulente contre ceux qui n’adoptent pas de positions pro-palestiniennes, qualifiant certains acteurs politiques et médiatiques de « microbes » qui « déclarent que les Marocains n’ont rien à faire avec la Palestine ».
Ce discours populiste soulève plusieurs questions :
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Benkirane compte-t-il encore sur les causes nationalistes comme moyen de revenir sur le devant de la scène ?
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Ou se sent-il tellement marginalisé politiquement qu’il perd toute retenue face à ses adversaires ?
Les qualificatifs de « microbes » et « d’ânes » ne constituent pas seulement une dérive morale mais une atteinte aux règles du discours démocratique, reflétant une forme d’étouffement politique qui poursuit le PJD depuis sa défaite cuisante aux élections de 2021.
La plainte de « Nous Pouvons » : démonstration ou protection des valeurs constitutionnelles ?
Le parti à l’origine de la plainte, « Nous Pouvons », bien qu’en cours de création, a fait preuve d’une vigilance juridique et peut-être d’un tactique politique astucieuse, justifiant son action par la défense du « respect dû aux citoyens comme droit constitutionnel ».
Sommes-nous face à une utilisation intelligente de la loi pour encadrer la vie politique et contrôler les dérapages verbaux ? Ou ce nouveau parti cherche-t-il à surfer sur la colère populaire contre Benkirane pour marquer précocement le paysage politique ?
Dans les deux cas, cette initiative pourrait constituer un précédent dans la mise en cause des dirigeants politiques pour leurs déclarations, ouvrant la voie à une nouvelle évolution dans la relation entre opinion publique, discours politique et responsabilité juridique.
Malaise interne au PJD… Crise de leadership ou fin d’une époque ?
Les déclarations de Benkirane n’ont pas été soutenues à l’intérieur de son parti, mais critiquées par certains de ses dirigeants qui y voient une déformation de l’image du parti et une réduction de ses chances de regagner la confiance de la rue marocaine.
Benkirane commence-t-il à perdre sa légitimité même au sein de sa base ? Dans quelle mesure ces excès pourraient-ils accélérer un renouvellement de la direction du PJD voire une scission organisationnelle ?
Le politologue Mohamed Chquier estime que les propos de Benkirane incarnent « des reliquats d’une pensée d’éradication », évoquant ses racines dans la « Jeunesse Islamique », posant une question plus profonde : son discours porte-t-il un héritage idéologique entravant l’ouverture du parti à la pluralité ?
Entre Palestine et Maroc : une dualité du discours ?
Beaucoup ont critiqué l’instrumentalisation par Benkirane de la cause palestinienne contre ses adversaires politiques, alors que la position officielle marocaine sur ce dossier jouit d’une reconnaissance internationale, tant par le soutien à l’agence Bayt Mal Al-Qods que par la médiation active du Roi Mohammed VI.
Benkirane exploite-t-il la cause palestinienne comme dernier refuge pour susciter la sympathie populaire ? Les causes nationalistes deviennent-elles des prétextes pour justifier les échecs politiques ?
Conclusion : Une crise politique en habit linguistique
Cette action en justice constitue une nouvelle étape dans le déclin politique d’Abdelilah Benkirane. Ses écarts répétés avec les conventions politiques ne s’expliquent peut-être pas seulement par des emportements momentanés, mais refléteraient plutôt une mise à nu progressive du vide leadership au sein du PJD, après avoir perdu de nombreux paris politiques et électoraux.
En définitive, aucun acteur politique n’est attendu comme infaillible, mais la responsabilité morale et juridique exige qu’il réponde de ses déclarations lorsqu’elles portent atteinte à la dignité des citoyens, car la protection de l’espace public commence par la maîtrise du discours politique, non par la justification de la violence symbolique.
Cette affaire marquera-t-elle le début d’une régulation du langage des politiques au Maroc ? Aura-t-elle des répercussions sur le paysage de l’opposition et l’avenir du PJD ?