Alors que le Maroc fait face à une crise hydrique aiguë et à une hausse alarmante des coûts d’importation alimentaire dans un contexte géopolitique mondial instable, l’économiste Najib Akesbi n’a pas hésité à qualifier le modèle agricole marocain de « supercherie vieille de 50 ans », accusant directement l’État d’avoir « permis l’épuisement de la nappe phréatique » au profit d’une agriculture tournée vers l’exportation, bénéfique à une minorité, au détriment de la sécurité alimentaire du pays.
■ La souveraineté alimentaire : mythe ou réalité ?
Lors de son intervention à l’université de printemps de la Fédération de la gauche démocratique à El Jadida, Akesbi a posé une question fondamentale : le Maroc dispose-t-il réellement d’une souveraineté alimentaire ?
Sa réponse est sans appel : « Nous vivons dans une situation de non-souveraineté alimentaire depuis des années. »
À chaque épisode de sécheresse, on parle de mobilisation générale, mais dès que la pluie revient, on oublie tout… jusqu’à la prochaine crise.
Mais si cette politique dure depuis les années 1980, pourquoi aucune rupture stratégique n’a été opérée, malgré les évolutions démographiques et climatiques majeures ?
■ 40 millions de Marocains et 13 millions de ruraux hors des calculs ?
Selon Akesbi, le discours officiel sur les « potentialités agricoles » du Maroc est un leurre entretenu depuis des décennies.
L’agriculture nationale, selon lui, ne peut ni nourrir 40 millions de citoyens, ni assurer une vie digne à 13 millions d’habitants en zone rurale. Elle ne peut pas non plus être un moteur de croissance économique.
Dès lors, une question centrale se pose : Pourquoi tant d’investissements publics dans un secteur aussi peu structurant ? Et qui en bénéficie vraiment ?
■ Des barrages colossaux… pour seulement 12 % des terres ?
Akesbi rappelle que le Maroc a massivement investi dans la politique des barrages depuis les années 80, avec un résultat paradoxal : un déficit hydrique persistant.
En effet, les zones irriguées ne représentent que 800 000 hectares, soit 12 % des terres agricoles. Cela signifie que 86 % des terres — y compris en milieu rural — ont été marginalisées.
Là encore, la question s’impose : La mobilisation de l’eau a-t-elle réellement été pensée pour l’intérêt général ? Ou a-t-elle servi un modèle sélectif et élitiste ?
■ 40 % de l’eau s’évapore avant d’arriver aux champs
Le système d’irrigation, lui aussi, est mis en cause.
Akesbi affirme que 40 % de l’eau est perdue par évaporation avant d’atteindre les exploitations agricoles, en raison de choix techniques et de cultures inadaptés.
Il déplore que des milliards de dirhams, issus de l’argent public, aient été investis sans cahiers des charges clairs, pour soutenir des cultures exportatrices gourmandes en eau comme l’avocat ou les fruits rouges.
D’où cette question critique : Comment a-t-on pu allouer des subventions publiques sans garanties écologiques ni contrôle démocratique ?
■ La nappe phréatique : la victime silencieuse
Le constat le plus alarmant de l’économiste est celui de l’exploitation abusive de la nappe phréatique par de grands agriculteurs, avec l’aval tacite de l’État.
Au lieu de s’appuyer sur les barrages, nombre d’entre eux ont élargi leurs surfaces irriguées en puisant directement dans les eaux souterraines.
Et pourtant, les contrats de protection de la nappe ne sont évoqués que récemment.
Il demande : Pourquoi ne pas avoir mis en place ces mécanismes il y a 40 ans ? Qui porte la responsabilité de ce laxisme ?
■ Le Plan Maroc Vert : continuité ou fuite en avant ?
Pour Akesbi, le Plan Maroc Vert n’a pas représenté une rupture, mais bien la continuation — voire l’aggravation — d’une logique de dépendance agricole initiée dès les années 80.
Il le qualifie même de « fuite en avant », soulignant qu’il a ignoré délibérément la question cruciale de l’eau, tout en ouvrant grand la porte à des subventions incontrôlées, sans reddition des comptes.
Il conclut que le Maroc a suivi une politique quasi-criminelle vis-à-vis de ses ressources hydriques, en refusant de reconnaître une vérité essentielle :
La souveraineté a un coût, mais elle n’a pas de prix.