Dans un moment de profonde révision politique, le dirigeant du Parti de la Justice et du Développement (PJD), Abdelali Hamieddine, revient sur l’expérience de son parti dans la gestion des affaires publiques à la tête du gouvernement. Il livre un récit de l’intérieur qu’il considère comme celui d’un “projet de réforme volontairement avorté”, lancé en 2011, culminant sous la direction de Abdelilah Benkirane, avant que son élan ne soit brisé progressivement par ce qu’il nomme la “résistance de l’intérieur de l’État”.
De la réconciliation politique à l’affrontement silencieux
Hamieddine affirme que le PJD n’est pas arrivé avec une vision globale et partagée de la transition démocratique, mais a fait preuve d’efforts d’adaptation aux logiques de l’État et aux exigences de la gestion. Il évoque des réussites dans la gestion locale, la maîtrise des finances publiques, l’ouverture sur les autres acteurs politiques, et une “réconciliation” entre le citoyen et la politique… autant de réalisations qu’il juge concrètes, notamment dans un contexte qu’il qualifie de “fragilité démocratique structurelle”.
Mais très vite, ce parcours a rencontré – selon lui – un mur solide à l’intérieur même de l’appareil de l’État, en plus de groupes d’intérêts économiques et médiatiques qui ont œuvré – toujours selon ses propos – à diaboliser le parti et à saboter ses figures à travers des campagnes médiatiques coordonnées.
Questions fondamentales : qui gouverne réellement ? Et où s’arrêtent les limites du pouvoir politique ?
Dans son intervention, Hamieddine jette un pavé dans la mare politique marocaine :
« Peut-on accepter l’intervention du pouvoir quand elle est favorable à un parti, et la rejeter quand elle ne l’est pas ? »
Par cette question cruciale, le dirigeant met à nu le principal dysfonctionnement du jeu politique au Maroc : l’absence de neutralité du pouvoir, et l’inégalité entre les partis face à l’autorité réelle.
L’expérience de formation du second gouvernement Benkirane en 2016, connue sous le nom de « blocage politique », a été – selon lui – un moment révélateur, où le pouvoir est intervenu – de son point de vue – pour démanteler une coalition politique significative (PJD + PPS + Istiqlal), et la remplacer par une majorité fonctionnelle visant à neutraliser les réformes de l’intérieur.
Était-ce le fruit du hasard électoral ? Ou bien une décision politique stratégique visant à écarter le PJD comme acteur central du pouvoir ?
Médias et argent politique : un combat inégal
Hamieddine évoque également une alliance implicite entre l’argent politique et les médias orientés, qui ont joué – selon lui – un rôle majeur dans l’affaiblissement de l’image du parti via des “campagnes de diffamation systématiques”. Il suggère même une soumission partielle de la presse au pouvoir de la publicité, qui agit comme une forme d’autocensure, même au sein de certains médias dits indépendants.
Cette remarque soulève une question de fond :
Comment espérer construire une démocratie saine sans médias véritablement libres ?
Et si les médias deviennent un instrument dans une bataille politique qui se joue en dehors des institutions, sommes-nous en présence d’un pluralisme authentique ou simplement d’une diversité de façade dans un système fermé ?
Réformer de l’intérieur du système… est-ce possible ?
L’expérience du PJD nous confronte à une grande contradiction :
Peut-on réformer l’État de l’intérieur, sans vision structurée du changement, et sans garanties constitutionnelles d’autonomie du pouvoir politique ?
D’un côté, le parti se félicite de succès électoraux jugés transparents en 2015 et 2016, de l’autre, il reconnaît une intervention permanente du pouvoir dans la vie politique, ce qui vide l’exercice électoral de sa substance.
Cela relance une interrogation plus profonde :
Vivons-nous dans une “démocratie électorale” ou dans un “régime masqué” où les décisions majeures se prennent en dehors des urnes ?
Conclusion : Que faire ?
Les propos de Hamieddine ne sont pas qu’un simple bilan partisan d’une expérience politique terminée par une défaite cinglante en 2021. Ils constituent – en profondeur – un diagnostic du point d’étranglement dans le modèle politique marocain. Un système où les marges d’action des partis restent limitées, où la neutralité du pouvoir demeure un objectif lointain, et où la réforme, pour ne pas rester un simple slogan, doit d’abord poser la question centrale :
L’État marocain est-il prêt à se réformer lui-même ?