Carte politique en jeu
Alors que le Maroc se prépare activement aux prochaines élections législatives, une question essentielle se pose concernant la représentation des Marocains résidant à l’étranger, estimés à environ 6 millions de personnes, et qui n’ont pas été inclus dans le Recensement général de la population et de l’habitat 2024.
Alors que la répartition des sièges et des circonscriptions sur le territoire national est réexaminée pour garantir un équilibre démographique, ces citoyens restent en dehors de l’équation, suscitant des inquiétudes quant à leur exclusion persistante du processus de décision politique. Ce vide ne touche pas seulement leur droit à la représentation, mais soulève également des interrogations plus larges sur la capacité du système électoral marocain à intégrer à la fois les évolutions démographiques nationales et celles de l’étranger, et à assurer une participation inclusive de tous les Marocains, qu’ils vivent dans le pays ou à l’étranger.
À quelques mois des élections, le dossier de la révision du découpage électoral revient au centre du débat politique au Maroc. La plupart des formations politiques ont soumis au Ministère de l’Intérieur des propositions visant à revoir la répartition actuelle des circonscriptions et des sièges, en réponse aux changements démographiques et économiques révélés par le recensement.
Pourtant, ce dossier reste entouré de questions : cette révision vise-t-elle réellement à corriger un déséquilibre représentatif, ou constitue-t-elle une tentative de redessiner la carte politique au profit de certains partis ?
Le découpage électoral au Maroc : outil technique ou carte politique ?
Théoriquement, le découpage vise à garantir l’égalité des votes entre électeurs par une répartition équitable des sièges. Dans la pratique, il se transforme souvent en instrument politique pour réorganiser les forces au sein du Parlement et des conseils territoriaux.
La révision précédente en 2021 avait suscité de vives controverses, notamment avec le calcul du quotient électoral basé sur les inscrits plutôt que sur les suffrages exprimés, ce qui a réduit les chances de certaines grandes listes tout en favorisant les petites circonscriptions. Aujourd’hui, avec le recensement de 2024 révélant une population de 36,83 millions d’habitants, dont 62,8 % vivent en milieu urbain, les demandes pour une redistribution des sièges reflétant les nouvelles réalités démographiques s’intensifient, que ce soit par l’ajout de sièges dans les villes densément peuplées ou la révision des zones rurales peu peuplées.
Expériences internationales : France et Espagne
France : égalité démographique sous contrôle judiciaire
En France, le découpage électoral est un pilier de la démocratie, soumis au principe d’égalité devant le vote. Cependant, il a connu des tentatives répétées d’exploitation politique, comme le découpage Pascual de 1986, accusé de favoriser le parti au pouvoir.
La rigueur judiciaire et la publication détaillée des critères ont permis de limiter ces dérives, faisant du découpage un sujet de discussion publique et de responsabilité légale, tout en préservant un minimum de justice électorale.
Espagne : protection de la représentation territoriale au détriment de l’égalité numérique
En Espagne, la répartition des sièges est liée à la Constitution et à la décentralisation, chaque province ayant au moins deux sièges, indépendamment de sa population, les sièges supplémentaires étant distribués selon le nombre d’habitants. Cela crée un déséquilibre relatif entre grandes villes et zones rurales, mais reflète la priorité accordée à l’équilibre territorial et à la protection des identités régionales dans un pays multiculturel et multilingue.
Enseignements pour le Maroc
Les expériences française et espagnole montrent que le découpage électoral est rarement totalement neutre. Le Maroc, dans son débat actuel, fait face à un défi similaire : comment concilier justice démographique et considérations politiques sans que l’un ne l’emporte sur l’autre ?
Enjeux politiques : gagnants et perdants
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Partis majeurs : visent de larges circonscriptions pour maximiser les sièges.
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Partis minoritaires : misent sur des circonscriptions ciblées pour garantir une représentation, même limitée, mais stratégique pour la formation du Parlement.
Test de légitimité politique
Les prochaines élections constitueront un véritable test : le nouveau découpage garantira-t-il une compétition équitable et reflètera-t-il la volonté populaire, ou servira-t-il simplement à redessiner la carte politique ?
Gouvernance et transparence : du texte à la réalité
Le Maroc manque d’une autorité indépendante supervisant le découpage, laissant place à des interprétations et manipulations. Comparé à la France et à l’Espagne :
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La transparence et la publication des critères renforcent la confiance.
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Le contrôle judiciaire ou social réduit le risque d’exploitation politique.
L’absence de ces mécanismes au Maroc fait peser le poids sur la transparence et la communication des données détaillées : pourquoi telle circonscription a-t-elle été modifiée ? Comment les sièges sont-ils distribués ? Quel impact sur la représentation des femmes, des jeunes et des régions moins peuplées ?
Conclusion : opportunité ou test pour la démocratie
Le découpage électoral marocain n’est pas qu’une question technique : il s’agit d’un test de crédibilité du système électoral et de la capacité des institutions à équilibrer justice démographique et considérations politiques.
Géré avec transparence et participation large, il peut renforcer la confiance et garantir une représentation plus équitable. Sinon, il restera un instrument de redistribution du pouvoir, avec des risques évidents : abstention, fragmentation des partis et perte de confiance dans les institutions élues.