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« Le Mali accuse et Paris dément : la légitimité de l’influence française en jeu »

« Vezilier : un diplomate au visage militaire au cœur d’un complot africain »

Le 15 août 2025, les autorités maliennes ont annoncé l’arrestation de plusieurs personnalités, parmi lesquelles le lieutenant-colonel Yann Christian Bernard Vezilier, officier de l’armée de l’air française et deuxième secrétaire de l’ambassade de France à Bamako. Bamako l’accuse d’avoir participé à un complot visant à renverser les autorités maliennes, faisant de lui le symbole de toutes les ambiguïtés entourant la présence française en Afrique.

Depuis « Bob Denard » (nom de guerre de Gilbert Bourgeaud) dans les années 1970, mercenaire agissant pour le compte de la France en Afrique, jusqu’à « Vezilier » aujourd’hui, une même logique se dessine : la France oscille entre influence, ingérence et perte de contrôle au Sahel.

Le colonel Vezilier : diplomate-soldat au cœur de la tempête

Le 15 août 2025, les autorités maliennes annoncent l’arrestation de plusieurs personnalités accusées de préparer un coup d’État. Parmi elles, un Français : Yann Christian Bernard Vezilier, lieutenant-colonel de l’armée de l’air et deuxième secrétaire à l’ambassade de France à Bamako.

Présenté par le ministre malien de la Sécurité comme un « agent lié au renseignement français », Vezilier devient immédiatement l’objet d’un bras de fer diplomatique. Paris dénonce des « accusations sans fondement » et rappelle que son officier bénéficie de l’immunité diplomatique au titre de la Convention de Vienne. De son côté, Bamako insiste : la « manœuvre » aurait commencé dès le 1er août, preuve d’un projet structuré visant à déstabiliser la transition.

Au-delà des faits, une évidence s’impose : cette arrestation marque une nouvelle étape dans la guerre d’influence opposant la France et le Mali depuis la rupture politique de 2022.

Bob Denard : l’archétype des barbouzes

Pour comprendre la portée symbolique de « l’affaire Vezilier », il faut revenir à un nom : Bob Denard. Ancien marin devenu mercenaire, Gilbert Bourgeaud multiplia pendant des décennies les interventions pour le compte de la Françafrique.

Du Congo au Bénin, en passant surtout par les Comores, Denard incarne cette diplomatie parallèle où les mercenaires servaient de bras armé aux intérêts français, sous couvert de protéger des régimes alliés ou d’écarter des dirigeants jugés indociles. Ses putschs, souvent organisés avec la bénédiction tacite de l’Élysée, resteront dans l’histoire comme l’âge d’or des barbouzes africains.

De Denard à Vezilier : continuités et ruptures

La comparaison entre Denard et Vezilier n’est pas qu’un raccourci journalistique, elle révèle à la fois continuité et mutation de l’ingérence française :

  • Continuité : les objectifs stratégiques demeurent. Contrôle des ressources (uranium nigérien, or malien, pétrole tchadien), maintien d’une zone d’influence face aux rivaux, et prévention de l’émergence de régimes trop indépendants.

  • Rupture : alors que Denard opérait comme mercenaire, Vezilier agit en uniforme et au cœur de l’appareil diplomatique. Le mercenariat « offshore » d’hier laisse place à un affrontement officiel entre États souverains.

Le Sahel : champ de bataille des influences

Depuis 2020, le Sahel traverse une zone de turbulences sans précédent. Mali, Burkina Faso et Niger ont tous connu des putschs militaires, souvent accompagnés d’une rhétorique virulemment anti-française.

Le retrait forcé de l’opération Barkhane a ouvert la voie à d’autres acteurs : la Russie via Africa Corps (ex-Wagner), mais aussi la Turquie, la Chine et les Émirats arabes unis. Dans ce contexte, la France tente de conserver ses points d’appui en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Tchad.

Mais la multiplication des accusations — comme celles visant Vezilier — souligne un fait : le discours officiel de lutte antiterroriste est désormais perçu comme une façade. Pour une partie de l’opinion publique africaine, Paris reste associée aux ingérences et aux « manipulations » héritées de la Françafrique.

Cinq chiffres pour comprendre le rapport de forces au Sahel

  1. Environ 2 500 soldats français demeurent déployés en Afrique de l’Ouest après les retraits du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Les plus gros contingents sont désormais basés à Abidjan (près de 950 hommes), au Tchad (N’Djamena) ainsi qu’au Sénégal et au Gabon.

  2. L’uranium nigérien, longtemps vital pour l’industrie nucléaire française, représentait près de 20 % de l’approvisionnement d’EDF avant 2023. Sa perte a fragilisé la quête d’indépendance énergétique de Paris.

  3. Le coût humain du jihadisme est colossal : selon ACLED, le Sahel central (Mali, Burkina, Niger) concentrait en 2024 près de 50 % des victimes mondiales du terrorisme islamiste, soit plus de 20 000 morts en cinq ans.

  4. Face au retrait français, la Russie (Africa Corps) a déployé plusieurs centaines d’hommes au Mali et au Burkina Faso. La Turquie fournit drones et instructeurs, tandis que les Émirats et le Qatar investissent dans des bases et infrastructures.

  5. Ces chiffres mettent en évidence une réalité : le Sahel est devenu l’un des terrains les plus disputés de la planète. Pour la France, l’équation est simple : maintenir une influence déclinante à coût politique croissant, ou accepter que le centre de gravité sécuritaire se déplace vers d’autres puissances.

Conclusion : Paris joue à découvert

De Bob Denard à Yann Vezilier, l’histoire africaine de la France se raconte comme une succession de permanences et de réinventions. La méthode évolue — du mercenaire clandestin au diplomate-soldat — mais la question demeure : jusqu’où une puissance moyenne peut-elle aller pour défendre ses intérêts sans assumer l’ingérence ?

Dans ce bras de fer, Paris semble jouer désormais à découvert. Mais chaque coup porté au Sahel risque de se retourner contre elle : plus l’armée prend le relais des barbouzes, plus la légitimité de la présence française s’effrite.

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