Le débat sur la création d’un parti amazigh refait surface avec force, dans un contexte où de plus en plus de voix amazighes estiment que l’intégration de la langue et de la culture dans la vie publique reste lente et limitée, malgré plus d’une décennie depuis la reconnaissance constitutionnelle de l’amazigh comme langue officielle au Maroc en 2011.
Alors que les défenseurs de l’initiative affirment qu’il s’agit d’une nécessité pour protéger l’identité et garantir une représentation équitable, ses opposants craignent un enfermement identitaire ou l’utilisation de la question amazighe dans des conflits politiques étroits.
Les promoteurs : voix de l’identité et droit à la participation
Dans des interviews proposées avec plusieurs militants amazighs, les demandes sont récurrentes :
Amina Boughaleb (militante des droits humains) : « Nous ne pouvons pas attendre indéfiniment. L’amazigh est une langue officielle, mais elle n’a aucune institution politique pour la défendre. Le parti amazigh serait un moyen pacifique et démocratique de garantir les droits linguistiques et culturels. »
Hussein Aït Lemkadem (chercheur) : « Ce n’est pas un luxe culturel, mais une question de citoyenneté. Si les partis existants n’ont pas réussi à défendre sérieusement l’amazigh, pourquoi ne pas avoir un parti dont la référence est explicite ? »
Ces déclarations mettent en lumière un sentiment répandu d’exclusion et la conviction que la lenteur dans l’application des lois organisatrices sert les intérêts de certains acteurs habitués à monopoliser le paysage politique.
Analyse juridique et constitutionnelle : comparaison internationale
Du point de vue constitutionnel, une question essentielle se pose : pourquoi les dispositions du Constitution de 2011 sur l’amazigh restent-elles entravées ?
Maroc : L’article 5 du Constitution reconnaît clairement l’amazigh comme langue officielle et engage l’État à émettre une loi organique pour sa mise en œuvre. La loi est parue en 2019, mais la mise en œuvre reste limitée dans l’enseignement, l’administration et les médias.
Canada : Le modèle de la dualité linguistique (anglais/français) montre comment une reconnaissance constitutionnelle peut se traduire en intégration institutionnelle solide.
Bolivie : La Constitution reconnaît plus de 30 langues autochtones et leur accorde une présence dans la justice, l’enseignement et l’administration.
Afrique du Sud : Une des expériences les plus audacieuses, où la Constitution reconnaît 11 langues officielles et oblige l’État à prendre des mesures concrètes pour assurer leur égalité.
La comparaison révèle que le Maroc accuse un retard dans la transformation de la reconnaissance constitutionnelle en réalité concrète. La lenteur n’est pas seulement administrative, mais reflète un choix politique qui pose la question des intérêts de certaines forces à maintenir l’amazigh comme un « symbole sans contenu ».
Chronologie : lois et décisions relatives à l’amazigh au Maroc
Année | Décision/Événement | Remarque |
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2001 | Discours d’Agadir et création de l’Institut Royal de la Culture Amazighe | Étape symbolique fondatrice |
2011 | Constitution : l’amazigh devient langue officielle | Reconnaissance constitutionnelle historique |
2019 | Publication de la loi organique 26.16 sur la mise en œuvre de l’amazigh | Retard de 8 ans par rapport à la Constitution |
2021 | Intégration progressive dans certaines institutions publiques (Parlement, tribunaux) | Application lente |
2024 | Présence limitée dans l’enseignement, les médias et l’administration | Difficultés persistantes |
Qui retarde et pourquoi ?
La lenteur ne résulte pas seulement de l’absence de lois, mais du manque de volonté politique réelle :
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Certains partis traditionnels craignent qu’un parti amazigh réduise leur influence électorale dans l’Atlas, le Rif et le Souss.
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L’administration publique souffre d’un déficit de formation et de personnel parlant amazigh, rendant la mise en œuvre coûteuse à court terme.
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Certaines élites considèrent que maintenir l’amazigh dans le « symbolique » facilite l’équilibre politique et linguistique.
Recommandations : vers une représentation transparente et organisée
Pour un changement significatif, les experts proposent :
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Accélérer l’application de la loi organique avec des calendriers contraignants et des budgets dédiés.
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Garantir une représentation politique directe par la création d’un parti ou d’un courant structuré au sein des partis existants.
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Renforcer la transparence via des rapports réguliers sur l’intégration institutionnelle de l’amazigh.
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Encourager les médias publics à produire et diffuser des contenus en amazigh à l’échelle nationale.
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Tirer les leçons des expériences internationales (Canada, Afrique du Sud) et les adapter à la spécificité marocaine.
Conclusion
Le débat sur la création d’un parti amazigh n’est pas seulement politique ; il exprime une crise de confiance entre les promesses constitutionnelles et la réalité sur le terrain. Alors que les voix réclamant une représentation explicite de l’amazigh se multiplient, la question reste ouverte : l’État permettra-t-il ce nouveau chemin démocratique, ou la lenteur continuera-t-elle à transformer l’amazigh en une « carte reportée » sans horizon ?