Au Maroc, lorsque les débats sur la liberté et la religion s’enflamment, il ne s’agit jamais d’un simple incident ou d’une déclaration passagère, mais bien d’une fenêtre ouverte sur la profondeur du conflit autour de l’identité de la société et de l’orientation de son avenir. L’affaire du « t-shirt offensant », avec sa portée symbolique choquante, n’a pas seulement suscité des réactions officielles et populaires ; elle a ravivé un débat sur la frontière entre liberté d’expression et liberté d’insulter, ainsi que sur les limites de la tolérance dans une société attachée à ses constantes religieuses et nationales.
C’est dans ce contexte qu’intervient la prise de position de l’ancien ministre Aziz Rabbah, qui choisit de dépasser les détails de l’affaire pour l’inscrire dans un cadre plus large : celui de la confrontation avec un projet idéologique et politique qu’il considère comme une menace systématique pour l’ordre moral du Maroc.
Entre droit et prévention de la discorde
Pour Rabbah, l’incident ne saurait se réduire à une simple faute individuelle corrigée par l’application de la loi. Il estime que les mesures officielles — conformes aux dispositions constitutionnelles telles qu’expliquées par l’ancien ministre de la Justice, Mustapha Ramid — étaient nécessaires pour couper court à ce qu’il appelle une « discorde préméditée ».
La question se pose alors : sommes-nous face à un événement isolé ou à un élément d’un plan visant, de façon répétée et organisée, les symboles religieux et sociétaux ?
Liberté d’expression ou liberté d’insulter ?
Selon l’analyse de Rabbah, ce que certains promeuvent sous le slogan de « liberté d’expression » n’est en réalité qu’un paravent pour « la liberté d’insulter et de dénigrer », pour la destruction des valeurs sociétales et la menace à l’ordre public. Il souligne que ces défenseurs autoproclamés de la liberté — toujours selon ses propos — sont les premiers à injurier et à refuser toute tolérance envers ceux qui les contredisent, en particulier les savants et les conservateurs.
Cela conduit à s’interroger : assistons-nous à une double norme dans le discours sur les droits, où l’on brandit les slogans de la liberté lorsqu’ils servent un courant donné, mais où l’on censure lorsqu’ils renforcent l’autre camp ?
Laïcité : entre modération et extrémisme
Rabbah distingue clairement entre une « laïcité croyante et conservatrice », respectueuse de la religion, protectrice de la famille et des valeurs, et une « laïcité extrême » qui, selon lui, encourage l’étalage public de pratiques qu’il considère comme des déviations : homosexualité, relations sexuelles consenties hors mariage, blasphème, rupture publique du jeûne du Ramadan… avec l’objectif de les légaliser et de les imposer à la société.
Cette distinction soulève une autre question : peut-on tracer des frontières nettes entre la laïcité comme simple séparation institutionnelle du religieux et du politique, et la laïcité comme idéologie conflictuelle visant à déconstruire le système de valeurs ?
Menaces aux constantes et à l’ordre public
L’ancien ministre avertit que ce courant ne se contente pas de revendiquer la liberté de croyance, mais transforme — toujours selon lui — ces « déviations » en « étendards politiques » brandis dans l’espace public, mobilisant la jeunesse comme « boucliers humains » dans sa bataille contre la religion, l’ordre public et l’institution d’Amir Al Mouminine.
D’où une interrogation : s’agit-il d’un affrontement de valeurs ou d’un conflit politique qui utilise les questions morales comme façade ?
Retour à l’histoire… et continuité du conflit
Rabbah convoque l’histoire du Maroc depuis l’arrivée de l’Islam, rappelant que « fauteurs de troubles et athées » sont apparus à différentes époques, mais que l’État et la société ont toujours été plus forts que les conspirations. En reliant ainsi passé et présent, il suggère que le Maroc possède une immunité historique profonde le protégeant de l’effondrement, même face à des discordes orchestrées.
Mais la question demeure : cette immunité historique suffit-elle à affronter les défis d’aujourd’hui ou le contexte actuel impose-t-il de nouvelles stratégies pour préserver la cohésion nationale ?
Conclusion « Le Maroc Maintenant »
Nous ne sommes pas devant un simple incident destiné à disparaître dans le flot de l’actualité, mais face à une confrontation intellectuelle et culturelle de long terme qui façonnera les contours du conflit autour de l’identité du Maroc dans les décennies à venir.
Ce que dit Aziz Rabbah n’est pas seulement un avertissement politique ; c’est une invitation à repenser le sens de la liberté et le rôle de l’État et de la société dans la préservation de l’équilibre entre ouverture et maintien des constantes.
À une époque où les batailles de valeurs s’entremêlent avec les calculs politiques, demeure la question que nous devons tous nous poser : comment préserver un Maroc de civilisation pour qu’il ne glisse pas vers un Maroc du chaos ?