mardi, juin 24, 2025
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L’artisanat au Maroc entre héritage ancestral et défis de la modernisation : Le gouvernement réussira-t-il à redonner ses lettres de noblesse à un secteur qui emploie des millions ?

À un moment charnière pour l’économie marocaine, où les enjeux de souveraineté productive croisent les pressions de la mondialisation et les défis de l’emploi, le discours officiel met à nouveau en lumière un secteur longtemps marginalisé : l’artisanat. Selon les déclarations de Lahcen Saadi, Secrétaire d’État chargé de l’artisanat, de l’économie sociale et solidaire, ce secteur emploie plus de 2,7 millions de Marocains et a généré des exportations de 1,11 milliard de dirhams, soulevant une question centrale : l’investissement dans l’artisanat est-il devenu un véritable choix stratégique ou s’agit-il seulement d’une adaptation circonstancielle aux pressions sociales et économiques ?

Alors que les festivals grandioses comme Mawazine sont aujourd’hui au cœur du débat public, symboles d’une politique culturelle fondée sur la consommation immédiate et l’image, l’artisanat représente le pendant opposé : une mémoire productive reflétant l’authenticité profonde du Maroc, et qui, si elle est intégrée dans une vision globale, peut se transformer en un levier économique durable.

Du chaos à l’organisation : le gouvernement réussira-t-il à structurer le secteur ?

Le fait marquant révélé par le responsable gouvernemental est l’existence aujourd’hui au Maroc d’un registre national recensant plus de 420 000 artisans et artisannes. Ce chiffre traduit, en apparence, une volonté d’organisation, mais il soulève en profondeur des questions quant à l’efficacité de cette structuration et la capacité de l’État à transformer cet enregistrement en accès à des droits professionnels, une protection sociale et de réelles opportunités économiques.

Le rapport 2023 de la Banque mondiale sur l’économie informelle en Afrique du Nord souligne que « l’enregistrement des acteurs ne garantit pas automatiquement leur intégration dans le système économique officiel, sauf si cela s’accompagne de politiques fiscales équitables, d’un financement accessible et d’une assurance sociale effective ».

Nouvelles politiques : contrats-programmes ou simples intentions ?

Lahcen Saadi évoque la signature d’un contrat-programme avec les chambres de l’artisanat, incluant formation, accès au financement, marketing des produits et délivrance de cartes professionnelles. Mais ces mécanismes sont-ils suffisants ? Des rapports antérieurs, comme ceux du Conseil économique, social et environnemental, mettent en garde contre un fossé entre les politiques annoncées et leur mise en œuvre effective, particulièrement dans les secteurs non structurés.

Préserver les métiers menacés : existe-t-il une vision éducative et culturelle parallèle ?

Dans un contexte dominé par la culture de consommation et une orientation croissante vers les métiers numériques, comment convaincre les jeunes générations de s’engager dans des métiers traditionnels ? Saadi insiste sur la formation et la progression professionnelle, évoquant un accord à venir sur ce sujet, mais la réussite de ce pari nécessite aussi une transformation culturelle qui lie patrimoine, créativité et rentabilité économique.

Le rapport 2022 de l’UNESCO sur le patrimoine immatériel considère que le plus grand défi pour préserver les métiers traditionnels réside non seulement dans la protection des produits, mais surtout dans le transfert des compétences aux jeunes générations dans un environnement urbain qui a délaissé les métiers manuels au profit de modes de vie consuméristes.

Une infrastructure massive sans activation effective ?

Plus de 150 complexes et villages d’artisanat, ainsi que 100 « Maisons de l’artisan » sont répartis sur le territoire national, mais ils font face à des défis d’animation et de gestion. Qui est responsable de transformer ces espaces de simples bâtiments en véritables incubateurs économiques ? Existe-t-il une évaluation transparente des bénéfices pour les régions marginalisées comme Drâa-Tafilalet ou Guelmim-Oued Noun ?

Marketing : des salons à l’e-commerce, le Maroc est-il prêt ?

Face aux mutations numériques, Saadi a annoncé le lancement de la première place de marché électronique nationale pour l’artisanat et la participation à six salons internationaux. Cependant, les expériences précédentes ont montré la fragilité des plateformes numériques gouvernementales et leur faible durabilité. Cette initiative réussira-t-elle à décoller ou restera-t-elle lettre morte ? Les coopératives rurales disposent-elles des conditions logistiques et numériques nécessaires pour accéder à ce marché ?

Exportation et investissement : volonté politique ou réalité bureaucratique ?

Les nouvelles conventions pour encourager l’export et stimuler l’investissement reflètent une prise de conscience officielle de l’importance du secteur, mais le véritable défi réside dans la suppression des barrières bureaucratiques et la création d’un environnement fiscal et financier attractif pour les jeunes entrepreneurs.

Comparaison symbolique : artisan traditionnel ou star du spectacle ?

À un moment où se posent des questions légitimes sur la rentabilité sociale et économique des dépenses consacrées aux grands festivals, il est légitime d’interroger les priorités culturelles et de développement de l’État : pourquoi accorder des millions à des artistes internationaux pour des spectacles éphémères, tandis que nos artisans traditionnels, qui préservent l’identité et construisent la valeur sur le long terme, travaillent encore dans des conditions précaires ?

Question centrale : qualification du secteur, vision économique ou culturelle ?

En définitive, le secteur de l’artisanat est à la croisée des chemins. Il peut être considéré comme un levier stratégique de développement basé sur l’autonomisation, la gouvernance et l’innovation sociale, ou bien être réduit une fois de plus à une image folklorique événementielle.

Le pays parviendra-t-il à passer du discours de valorisation à un modèle socio-économique intégré ? Le Maroc saura-t-il transformer son patrimoine artisanal en une marque mondiale qui préserve son identité tout en créant de la valeur à l’ère de la mondialisation ?

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