Dans un Maroc en mutation rapide, où les promesses se heurtent à la dureté du réel, le sondage publié par le journal (Sahifa) a agi comme un miroir brutal de l’état politique et social du pays. 82 % des Marocains estiment que le gouvernement d’Aziz Akhannouch devrait démissionner.
Ces chiffres ne sont pas de simples pourcentages : ils incarnent un ras-le-bol social profond, une fatigue politique qui interroge la signification même de la gouvernance et de la représentation. Comment un gouvernement disposant d’une majorité écrasante a-t-il pu se retrouver aussi isolé ? Et comment cette majorité, censée garantir la stabilité, est-elle devenue le symbole d’un fossé croissant entre l’État et la société ?
Ces questions ramènent à l’origine du malaise : des promesses ambitieuses transformées, au fil du temps, en mots suspendus dans le vide du discours officiel.
De « l’État social » à l’État des slogans
Le mandat d’Akhannouch devait marquer une rupture. Un nouveau souffle économique et social, fondé sur la création d’un million d’emplois, la réforme du système éducatif, la modernisation des hôpitaux, et la réduction de la pauvreté.
Mais quatre ans plus tard, le constat est implacable : la réalité contredit le récit.
Les prix flambent, le pouvoir d’achat s’érode, le chômage persiste, et les inégalités se creusent. Entre le discours et la vie quotidienne des citoyens, le fossé est devenu abîme.
La jeunesse, particulièrement celle du génération Z, n’y croit plus. Née à l’ère du numérique, elle juge les politiques à l’aune des faits, non des formules. Et dans cette ère d’hyper-transparence, chaque promesse non tenue devient un acte de rupture morale.
De Casablanca à Agadir, c
es jeunes ont fait descendre dans la rue un nouveau type de conscience collective, lucide, connectée, et sans attache partisane.
L’effondrement de la confiance : de l’économie aux valeurs
Les résultats du sondage traduisent plus qu’une humeur passagère. Ils révèlent une crise de légitimité, où la défiance ne vise plus seulement un gouvernement, mais l’idée même de la politique comme instrument du changement.
Sur le plan économique, des milliers de PME ont mis la clé sous la porte, étranglées par la hausse des coûts et l’absence de soutien structurel.
Dans l’éducation, les réformes s’enchaînent sans cohérence, tandis que la colère gronde chez les enseignants et les étudiants. Et dans la santé, malgré les grands chantiers annoncés — couverture sociale, assurance maladie obligatoire — les hôpitaux demeurent saturés, sous-équipés, et mal gérés.
Ici, le mot “réforme” a perdu son sens, vidé de sa substance par l’écart entre le texte et le terrain.
Génération Z : du virtuel à la rue
Ce mouvement porté par la jeunesse n’est pas un simple épisode protestataire : c’est le symptôme d’un basculement culturel. Une génération entière, nourrie à la transparence des réseaux, ne tolère plus le double langage.
Elle ne lit plus les bulletins officiels ; elle vit la politique dans le prix du pain, la facture d’électricité, le coût du transport, ou le rendez-vous manqué à l’hôpital.
La rue est devenue le prolongement naturel du numérique : un espace où l’expression virtuelle se transforme en énergie civique.
Et maintenant ? L’État face à son miroir
Ce sondage n’est donc pas une donnée statistique de plus. C’est un document social, un révélateur d’un tournant historique. Quand huit citoyens sur dix demandent la démission du gouvernement, il ne s’agit plus d’un rejet de personnes, mais d’un désaveu structurel. Le politique, dans sa forme actuelle, semble avoir perdu sa capacité à traduire les attentes sociales en décisions tangibles.
La question est dès lors cruciale : Le pouvoir saura-t-il entendre ce cri ?
Peut-on réconcilier la gouvernance et la confiance sans repenser le rapport entre l’État et ses citoyens ?
Et surtout, ce sursaut populaire ouvrira-t-il la voie à une refondation du politique, ou ne sera-t-il qu’un épisode de plus dans l’histoire d’une désillusion collective ?
L’heure de vérité
Le gouvernement Akhannouch vit sa véritable épreuve de réalité. Car la défiance ne se mesure plus à travers les discours d’opposition, mais à travers la conscience citoyenne elle-même. Les Marocains n’écoutent plus les justifications, ils observent les résultats.
Le temps du langage managérial est révolu : l’heure est à l’écoute, à la transparence, à la preuve.
Le danger n’est plus politique ; il est moral.Car quand un peuple cesse de croire en ses institutions, c’est le sens même du lien social qui vacille.
Le sondage de La Gazette n’est pas une simple photographie de l’instant : c’est un miroir tendu à la nation, révélant une génération qui ne réclame pas la chute d’un gouvernement, mais la naissance d’une nouvelle manière de gouverner — honnête, lucide et ancrée dans la réalité des vies.