Sur la plage de Fnideq, aux confins de Ceuta occupée, une mère marocaine se tient, accrochant à l’espoir tout en observant son fils mineur risquer sa vie en nageant vers l’inconnu. Chaque vague qui s’écrase sur le rivage emporte avec elle sa peur, et chaque instant qui passe fait battre son cœur avec effroi.
بين دموع الأمهات وأمواج البحر… تُكتب مأساة وطنٍ يطرد أبناءه pic.twitter.com/TKx5FpyqxA
— المغرب الآن Maghreb Alan (@maghrebalaan) October 16, 2025
Face à cette scène, je me suis retrouvé, en tant que journaliste et père, à écrire les larmes aux yeux, non pas simplement en tant que transmetteur d’informations, mais parce que l’humanité nous impose de ressentir ce que les autres vivent, de partager leur douleur, leur peur et leur espoir.
La vie de l’espoir perdu… plus qu’un cas isolé
Cette mère n’est pas un cas isolé, elle est le reflet de la réalité de milliers de familles marocaines épuisées par la pauvreté et la précarité, poussant leurs enfants dans les bras du danger pour un rêve de vie décente. Les quelques kilomètres entre les plages marocaines et Ceuta semblent courts pour certains, mais pour les mineurs marocains, ils se transforment en un test de vie ou de mort. De nombreuses tentatives se sont soldées par la noyade, le refoulement forcé, ou de longs séjours dans des centres d’accueil surpeuplés, laissant l’espoir suspendu entre les cris de la mère et les vagues de la mer.
Quand l’horizon disparaît… la mer devient l’école de la vie et de la mort
En juillet dernier, 54 mineurs, pour la plupart marocains, ont réussi à atteindre Ceuta à la nage, mais ces chiffres ne racontent pas l’histoire humaine derrière eux. Selon le sociologue Ali Chaâbane, ce phénomène se nourrit de «idées fausses sur le rêve migratoire» et de la fragilité du système éducatif, qui n’est plus capable d’encadrer les enfants et de sécuriser leur avenir. Chaâbane affirme : «J’ai entendu des enfants dire que l’école ne servait à rien, et cet abandon précoce de l’école rend la migration un choix acceptable, voire le seul choix possible».
Migration irrégulière… reflet d’un échec économique et social
La migration irrégulière n’est pas seulement un problème légal, c’est le reflet d’un échec économique et social. En juillet dernier, le gouvernement a appelé à l’adoption de programmes pour créer des emplois, réformer l’éducation, augmenter les salaires et développer toutes les régions. Mais la réalité montre qu’environ cinq mille mineurs marocains sont arrivés en Espagne via la migration irrégulière, tandis que le chômage des jeunes dépasse 13 %, et que le coût de la vie augmente sans relâche.
Les « bateaux de la mort »… et l’économie qui ne sauve pas
Les petites embarcations, ces « bateaux de la mort », deviennent un moyen de survie, et leurs intermédiaires des partenaires tragiques dans le rêve migratoire des jeunes. Certaines familles, explique Chaâbane, ne freinent plus leurs enfants, elles financent leur voyage vers l’inconnu, résignées à l’échec de l’État à offrir de vraies opportunités et à l’absence de perspectives pour l’avenir de leurs enfants.
« Certaines familles financent désormais le voyage de leurs enfants vers l’inconnu », dit Chaâbane, signalant un phénomène inquiétant : la migration devient un projet familial. Dans des régions où l’espoir fait défaut, la mer devient partie intégrante de la culture quotidienne, et la mort une possibilité acceptée. C’est l’économie de l’échec, où l’État est incapable d’intégrer sa jeunesse dans le tissu économique et les laisse à la merci des intermédiaires et des bateaux de la mort.
Une génération sans horizon… une société à la croisée des chemins
À chaque tentative de traversée, et à chaque mineur hésitant sur la plage entre espoir et peur, il devient clair que le problème est plus profond que de simples politiques de sécurité ou des frontières renforcées. Il s’agit d’un problème complexe mêlant pauvreté, éducation, chômage et sentiment d’exclusion sociale. Comment les enfants peuvent-ils rêver d’un avenir dans un pays qui ne leur offre pas le minimum de dignité ?
Les chiffres du Conseil économique et social indiquent que un million et demi de jeunes Marocains âgés de 15 à 24 ans sont au chômage. Un chiffre suffisant pour faire de la migration massive un phénomène social et non sécuritaire. Une génération entière se sent exclue et frustrée, voyant la mer comme le chemin le plus court pour affirmer son existence.
Mais la question fondamentale demeure : suffit-il de lutter contre la migration irrégulière par des patrouilles et la surveillance ? Ou avons-nous besoin d’une politique humaine qui redonne à l’école son rôle dans la construction de l’espoir, et à l’économie sa fonction de produire la dignité ?
Le gouvernement des chiffres… et les citoyens de la douleur
Face à ce phénomène, le gouvernement répond par les chiffres : une croissance de 4,8 %, la création de 351 000 emplois, le lancement de programmes de lutte contre le chômage pour une valeur de 1,4 milliard de dollars… mais les chiffres ne racontent pas toute l’histoire.
Les Marocains, surtout dans le Nord, ne cherchent pas les taux de croissance, mais le sens de la dignité dans la vie quotidienne. Et lorsque ce sens disparaît, la mer devient un moyen de protestation tacite, un cri silencieux contre des politiques qui rendent la vie au pays plus difficile que la mort en mer.
La mer, miroir de la nation
De la plage de Fnideq aux centres d’accueil espagnols, les histoires des mineurs marocains se dispersent comme les pages d’un seul roman intitulé « l’absence de justice sociale ». Chaque vague engloutit un nouveau rêve, et chaque corps ramené sur le rivage nous rappelle qu’un pays qui se rétrécit pour ses enfants laisse la mer s’élargir. Alors, n’est-il pas temps de considérer la mer non comme une limite géographique, mais comme une limite morale que le Maroc ne peut franchir en silence ?
Conclusion humaine… un cri national
À cet instant, sur la plage, tandis que la mère crie dans son silence intérieur, je me retrouve à écrire en pleurant, non seulement pour son fils, mais pour chaque enfant marocain confronté à une réalité cruelle. En tant que journaliste, je sais que les mots ne valent pas les larmes de cette mère, mais peut-être peuvent-ils être le début d’un réveil des consciences et des politiques, pour nous redonner l’espoir caché derrière les vagues.
La migration forcée des mineurs et l’espoir perdu entre des écoles vides et des emplois rares ne sont pas une simple question statistique, mais un cri national qui nous invite tous à reconsidérer nos priorités et à rendre le pays à ses enfants avant que la mer ne devienne le seul cimetière des rêves.