Lecture analytique de la tribune de Rachid El Belghiti
Note éditoriale :Cet article respecte les principes de la déontologie journalistique. Il se limite à l’analyse d’idées et de déclarations rendues publiques, en les replaçant dans leur contexte social et politique, sans aucune atteinte ni diffamation à l’égard des personnes ou institutions.
Au Maroc, le débat autour des dépenses consacrées au sport prend ces derniers temps une tournure tendue. Les appels à boycotter les matchs de football se multiplient, dénonçant les budgets colossaux alloués à la construction de stades et à l’organisation d’événements grandioses, alors que de vastes régions du pays souffrent encore d’un déficit criant en matière d’eau, d’éducation, de santé ou d’infrastructures de base.
Dans cette atmosphère saturée d’émotions, le journaliste et écrivain Rachid El Belghiti propose une réflexion percutante : et si le football, au Maroc, était en train de devenir une nouvelle religion d’État ?
Selon lui, le terrain de jeu a cessé d’être un simple espace sportif pour se muer en lieu sacré, doté de ses prêtres, de ses rituels et de ses fidèles. La critique n’y est plus tolérée : remettre en question le culte du ballon rond reviendrait à toucher à un tabou national.
L’auteur décrit une dérive symbolique : celle du transfert du sentiment d’appartenance. Autrefois nourri par l’école, la recherche scientifique ou les politiques sociales, le patriotisme se voit désormais capté par le spectacle du football. La victoire d’une équipe est présentée comme le signe d’une « renaissance nationale », tandis que les quartiers défavorisés d’où proviennent nombre de ces joueurs continuent de vivre dans la précarité.
Ce glissement sémantique, selon El Belghiti, réduit l’amour de la patrie à un simple réflexe d’applaudissements.
Aimer le Maroc ne consisterait plus à exiger justice ou équité, mais à chanter dans les gradins et à taire les contradictions.
L’auteur ne s’en prend pas au sport en soi : il souligne la nécessité de rééquilibrer l’investissement symbolique et matériel.
Lorsque le coût d’un seul stade équivaut au budget permettant d’équiper plusieurs hôpitaux ou écoles dans les régions enclavées de Taounate, Azilal, Tata ou Tinghir, la question n’est pas d’être contre le football, mais de défendre la justice territoriale et la dignité collective.
Dans cette optique, le stade devient, pour le pouvoir, un outil politique doux : il crée un consensus éphémère, anesthésie les frustrations sociales et maquille la pauvreté par la ferveur nationale. Le sport est ainsi instrumentalisé comme une forme subtile de contrôle émotionnel, transformant la passion populaire en exutoire collectif.
Face à cette sacralisation, El Belghiti appelle à redéfinir la vraie citoyenneté : celle qui s’exprime non pas dans le vacarme des gradins, mais dans le courage de poser des questions difficiles.
Car le véritable patriotisme, écrit-il en filigrane, « ne se mesure pas à l’intensité des cris dans les stades, mais à la persévérance de ceux qui demandent justice et dignité ».
Et de conclure par une interrogation qui résonne comme un manifeste :
« Pour qui construit-on ces stades ? Et au détriment de qui ? »
Ce n’est pas une attaque contre le sport, mais une invitation à le désacraliser, pour qu’il retrouve sa fonction première :
celle de rassembler, d’émanciper, et de refléter la vitalité d’un peuple — non pas sa soumission.