Dans une décision qualifiée d’historique, le tribunal de première instance d’Agadir a rendu, le vendredi 22 août 2025, le premier jugement fondé sur les peines alternatives, après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.
L’affaire concernait un prévenu impliqué dans le commerce d’alcool, condamné à deux mois de prison ferme et à une amende de 500 dirhams. Mais le tribunal lui a ouvert une autre possibilité : payer 300 dirhams pour chaque jour de prison, soit un total de 18 000 dirhams, afin de recouvrer sa liberté.
Une loi qui entre en application
La nouvelle loi sur les peines alternatives, attendue de longue date par les milieux des droits humains et les acteurs de la justice pénale, autorise le remplacement de certaines peines privatives de liberté par d’autres mesures, au premier rang desquelles l’amende journalière.
Le législateur a fixé son montant entre 100 et 2000 dirhams par jour, en obligeant les juges à tenir compte de la situation financière du condamné et de ses charges familiales.
La voix de la rue : « la liberté pour ceux qui ont les moyens » ?
À l’extérieur du tribunal, de nombreux habitants d’Agadir n’ont pas caché leur étonnement face au montant imposé.
Un artisan du marché « Souk Al Ahad » a commenté :
« 18 000 dirhams pour deux mois ? Même un fonctionnaire bien payé ne peut pas se le permettre, alors imaginez quelqu’un de modeste. Cette peine risque de devenir un privilège réservé à ceux qui ont de l’argent. »
De son côté, un chauffeur de taxi estime que l’idée est « bonne » car elle allège la pression sur les prisons, mais insiste sur la nécessité de justice sociale :
« Si le tribunal prend vraiment en compte la situation de chacun, ce sera équitable. Sinon, ça semblera juste un privilège pour les riches. »
Entre réforme et controverse
Pour les acteurs des droits humains, l’entrée en vigueur des peines alternatives marque un moment important dans la réforme de la justice pénale. Elle ouvre la voie à la réduction de la surpopulation carcérale et donne un sens plus réhabilitatif à la sanction.
Mais certains experts mettent en garde : appliquée sans critères rigoureux, cette réforme pourrait renforcer les inégalités sociales et faire du « pouvoir de payer » le véritable critère entre prison et liberté.
Une question pratique : les juges évaluent-ils vraiment la capacité financière ?
Le texte de loi stipule clairement l’obligation de tenir compte de la situation économique du condamné. Mais le premier jugement d’Agadir soulève une interrogation majeure : comment cela sera-t-il appliqué concrètement ?
Les juges disposent-ils de données précises sur les revenus et les charges des condamnés ? Existe-t-il des mécanismes de contrôle pour garantir l’équité dans cette appréciation, afin que la loi ne reste pas une promesse sur papier ?
Une conclusion ouverte
Entre l’enthousiasme pour une justice plus humaine et la crainte que les peines alternatives ne deviennent un privilège de classe, le premier jugement d’Agadir ouvre un long débat.
La société marocaine, avec sa diversité et ses fractures sociales, attend de voir si cette nouvelle formule de justice sera un outil d’équité sociale ou un nouveau miroir des inégalités entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas.