Depuis l’automne 2023, Gaza n’est plus seulement une bande côtière assiégée ; elle est devenue le laboratoire sanglant où se redessinent les cartes du pouvoir au Moyen-Orient. Une guerre sans précédent a coûté la vie à plus de 62 000 Palestiniens – dont sept sur dix étaient des femmes et des enfants – et a provoqué le déplacement de plus de deux millions de personnes. Les hôpitaux, les réseaux d’eau et d’électricité se sont effondrés dans des proportions proches de la catastrophe totale. Mais la tragédie humanitaire n’est que la première facette ; sous les décombres se réécrivent les équations de la politique, de l’influence et de l’énergie.
Israël… une victoire sans lendemain
Israël poursuit une guerre d’usure ouverte contre le Hamas, mais elle manque d’un « lendemain ». Peut-on bâtir une sécurité durable sur les ruines de Gaza ? Washington continue son soutien inconditionnel, tout en oscillant entre le rôle de médiateur et les pressions de sa politique intérieure. L’Europe, plus marginalisée que jamais, agite encore le spectre de la solution à deux États, sans réelle capacité à l’imposer.
Le Golfe… du pragmatisme sur des sables mouvants
La surprise vient du Golfe. Les monarchies de la région n’ont pas seulement observé, elles ont investi dans le chaos pour renforcer leurs cartes. L’Arabie saoudite, sur le point de conclure un accord historique de normalisation avec Israël, s’est retrouvée face à un mur d’opinion arabe qui ne pardonne pas une signature sur les ruines de Gaza. Question : la cause palestinienne revient-elle comme préalable incontournable à toute paix régionale ? Un rapport de Chatham House affirme : la Palestine, que beaucoup croyaient réduite à un symbole, a retrouvé une centralité diplomatique incontournable.
Liban… la double guerre d’usure
Au nord, le Hezbollah poursuit son jeu familier : une guerre lente qui épuise Israël tout en rappelant l’ombre portée de l’Iran. Mais le Liban, asphyxié par une inflation de plus de 200 % et une pauvreté touchant 80 % de sa population, peut-il supporter une nouvelle guerre ouverte ? Ici, l’effondrement pourrait être plus rapide que la cadence des roquettes.
Mer Rouge… un front silencieux mais global
Depuis le Yémen, les Houthis ont bouleversé la donne : leurs missiles ne visent pas seulement les navires israéliens, mais aussi les artères du commerce mondial. Près de 40 % du trafic maritime entre l’Asie et l’Europe a contourné le canal de Suez, doublant les coûts. La mer Rouge va-t-elle devenir un champ de bataille global pour le commerce ?
Iran… la patience comme arme
Téhéran joue la carte du temps long : enrichissement à 60 % sans franchir la ligne rouge, et un « arc des milices » du Liban à l’Irak et au Yémen qui maintient ses adversaires sous pression. L’Iran ne cherche pas une guerre totale, mais un temps ouvert qu’elle investit pour devenir un acteur incontournable.
L’énergie… la nouvelle monnaie dure
Au milieu du chaos, l’énergie s’impose comme l’arme diplomatique la plus efficace. L’Arabie saoudite contrôle la vanne du pétrole via l’OPEP+, tandis que le Qatar devient la « banque centrale du gaz naturel », avec une capacité de production qui atteindra 142 millions de tonnes par an d’ici 2030. La stabilité du Moyen-Orient dépend-elle désormais plus des pipelines que des cessez-le-feu ?
Un Moyen-Orient organisé par la guerre
En conclusion, la question n’est pas quand la guerre de Gaza prendra fin, mais : jusqu’où le Moyen-Orient peut-il survivre dans un “économie de guerre” permanente sans imploser totalement ?
Israël reste prisonnière d’une logique sécuritaire sans politique, les États-Unis un pilier militaire hésitant, l’Europe hors-jeu, l’Iran progresse en périphérie et le Golfe capitalise son influence grâce au pétrole et au gaz.
Comme l’a résumé récemment le Carnegie Middle East Center :
« Le Moyen-Orient est désormais organisé par la guerre, et non malgré elle. »
