La Zaouia Qadiriya Boutchichia, l’une des zaouias soufies les plus influentes du Maroc, traverse actuellement une période délicate de son histoire, suite au décès de son cheikh, feu Jamal Ben Hamza Ben Al-Abbas, la semaine dernière. Cet événement a jeté une ombre sur l’avenir de la zaouia, notamment avec l’émergence de désaccords concernant le choix de son successeur et les informations contradictoires sur la mise en œuvre de son testament. Cette crise se répète dans un contexte historique marqué par des conflits similaires au sein de la zaouia, ce qui soulève des questions sur la pérennité du modèle des zaouias au Maroc.
L’héritage de la Zaouia Boutchichia : entre spiritualité et politique
La Zaouia Qadiriya Boutchichia a été fondée au XXe siècle par le cheikh Hamza Ben Al-Abbas, qui réussit à en faire un centre spirituel et culturel influent. La zaouia s’est distinguée par l’organisation annuelle d’un rassemblement international à l’occasion de la commémoration du Mawlid, attirant des milliers de disciples venant du monde entier. Cet événement, organisé dans le village de Madagh, près de Berkane, est devenu une plateforme de rencontre entre spiritualité et influence politique, réunissant responsables gouvernementaux, intellectuels et artistes.
Cependant, avec le temps, des défis ont commencé à apparaître concernant l’équilibre de la zaouia entre sa mission spirituelle et ses intérêts politiques. Le journaliste Younes El-Meskini, qui a assisté au rassemblement entre 2008 et 2012, raconte son expérience personnelle, qui débuta par un enthousiasme pour la découverte, avant de se transformer en une critique interne après avoir constaté le contraste entre la pauvreté du village de Madagh et la richesse de la zaouia, ainsi que d’autres questions liées à la transparence et à l’organisation.
Le conflit autour de la direction : répétition de scénarios antérieurs
Il est à noter que les désaccords concernant le choix du successeur du cheikh ne sont pas nouveaux. Dans l’histoire de la zaouia, des conflits similaires se sont déjà produits, notamment entre le cheikh Hamza et son frère Abdel Salam Yassine, fondateur du mouvement Al-Adl Wal Ihssane. Ce conflit reflète la tension entre le désir de préserver l’autonomie spirituelle et les influences politiques et sociales environnantes.
Aujourd’hui, l’histoire se répète, avec un désaccord entre Monir Al-Qadri Boutchich, petit-fils du cheikh Hamza, et certains membres de la famille concernant la direction future de la zaouia. Ce conflit soulève des questions sur la capacité de la zaouia à s’adapter aux défis contemporains tout en préservant sa mission spirituelle face aux changements politiques et sociaux.
La zaouia entre spiritualité et pouvoir : un équilibre possible ?
Des questions se posent quant à la capacité de la zaouia à maintenir son indépendance spirituelle tout en étant étroitement liée au pouvoir politique. D’une part, la zaouia est considérée comme un centre du soufisme sunnite et joue un rôle dans le renforcement de l’identité religieuse du Maroc. D’autre part, ses intérêts semblent s’entrelacer avec ceux des cercles de pouvoir, ce qui pourrait affecter sa crédibilité et son autonomie.
Dans ce contexte, une question essentielle se pose : la Zaouia Boutchichia peut-elle trouver un équilibre entre sa mission spirituelle et ses intérêts politiques et sociaux ? Ou la poursuite de cette imbrication risque-t-elle de lui faire perdre son essence spirituelle et de la rendre vulnérable aux fluctuations politiques ?
Conclusion : vers une réévaluation du modèle des zaouias
Les conflits internes et les défis externes auxquels la Zaouia Qadiriya Boutchichia est confrontée constituent une opportunité pour repenser le modèle des zaouias au Maroc. Doivent-elles rester de simples institutions spirituelles ou doivent-elles s’adapter aux exigences contemporaines sans compromettre leur essence ? Les réponses à ces questions pourraient déterminer l’avenir des zaouias dans le royaume et contribuer à maintenir leur équilibre entre spiritualité et influence socio-politique.