Dans un article d’analyse approfondie, le Dr Boujemâa El Aoufi — poète et critique d’art — met le doigt sur la plaie du paysage marocain, en examinant ce qu’il considère comme les enjeux fondamentaux auxquels le pays est confronté, entre ambition de modernisation et défis structurels.
Adoptant une approche proche du concept de « journalisme de regard », qui ne se contente pas de rapporter l’information mais en démonte les causes et les contextes, El Aoufi part d’un constat central : le Maroc vit une contradiction évidente entre un long héritage civilisationnel et des réformes annoncées, d’une part, et une réalité politique, économique et sociale imbriquée et complexe, d’autre part.
Scène politique : la démocratie entre le texte et la réalité
El Aoufi pose une question essentielle : dans quelle mesure les textes constitutionnels et les mécanismes électoraux au Maroc reflètent-ils une véritable pratique démocratique ?
Bien que le pays ait adopté un système électoral pluraliste, la réalité révèle une persistance de la faible confiance populaire, la domination des mêmes figures sur les décisions, et l’entrelacement des intérêts politiques et économiques. Les données de l’Economist Intelligence Unit classent le Maroc dans la catégorie des « régimes hybrides », ouvrant la voie à cette interrogation : sommes-nous face à une démocratie fonctionnelle, ou à une pratique formelle vidant les lois de leur substance ?
Économie : entre chiffres de croissance et inégalités sociales
El Aoufi souligne le paradoxe entre les chiffres officiels de croissance annoncés par les gouvernements et la réalité sociale marquée par un creusement du fossé entre les classes.
Les données de la Banque mondiale et du Haut-Commissariat au Plan montrent que le Maroc a enregistré des taux de croissance notables dans les domaines des infrastructures et des énergies renouvelables. Cependant, l’Indice de développement humain du PNUD (2024) le classe à la 123ᵉ place mondiale, révélant que cette croissance ne s’est pas traduite par des gains sociaux équitables.
Dimension sociale : de la frustration au mouvement
Dans son analyse, El Aoufi établit un lien entre la situation politique et économique, la baisse de confiance dans les institutions et l’augmentation des mouvements de protestation à caractère revendicatif.
Malgré des initiatives comme le programme de protection sociale, leurs effets restent lents et inégalement répartis entre les zones urbaines et les régions marginalisées. Cela laisse la porte ouverte à une montée du sentiment de frustration, mais crée aussi une dynamique sociale refusant l’immobilisme.
Presse libre : témoin et acteur
El Aoufi affirme que la presse libre n’est pas un luxe, mais une condition nécessaire à toute réforme réelle. Dans le contexte marocain, où le pouvoir politique, l’économie et le tissu social s’entrecroisent, les articles d’opinion deviennent un espace pour poser des questions sensibles, révéler les contradictions du discours officiel et ouvrir le débat sur des alternatives réalistes.
Les expériences internationales — des réformes de transparence en Géorgie aux commissions vérité en Afrique du Sud — démontrent qu’un média indépendant peut être un partenaire essentiel dans la reconstruction de la confiance, à condition de bénéficier d’indépendance et de protection juridique.
Entre espoir et défis
El Aoufi conclut son article par une vision affirmant que le changement ne viendra pas seulement de projets de développement ou de plans économiques, mais d’une transformation de la conscience collective et d’une volonté politique plaçant l’intérêt du citoyen au-dessus de toute autre considération.
La question qu’il pose — et qu’il laisse ouverte au lecteur — est la suivante : le Maroc saura-t-il transformer ses potentialités et ses acquis en une réalité plus juste et plus transparente, ou restera-t-il prisonnier du cycle des discours rassurants et des résultats limités ?