À une époque où la compétition mondiale pour les talents s’accélère, le Maroc détient un trésor rare : plus d’un demi-million de compétences hautement qualifiées réparties à l’étranger – chercheurs, ingénieurs, innovateurs – alors que leur pays a plus que jamais besoin d’eux.
Mais ce capital humain reste bloqué entre négligence institutionnelle, programmes formels mais peu efficaces, et un fossé persistant entre le texte constitutionnel et la pratique réelle. La responsabilité est-elle individuelle, institutionnelle ou politique ? Et comment transformer cette ressource précieuse en une véritable force pour l’économie nationale et le développement durable ?
Un demi-million de compétences… et 5 millions de Marocains à l’étranger : le chiffre réel
Les estimations du ministère chargé des Marocains résidant à l’étranger parlent de 300 000 compétences hautement qualifiées hors du pays, tandis que d’autres données indiquent entre 5 et 6 millions de Marocains résidant à l’étranger, dont une proportion importante est hautement qualifiée (Maroc Diplomatique, CCME, EcoActu).
Fait marquant : l’investissement privé dans l’économie nationale ne dépasse pas 10 % des transferts de la diaspora, alors que ces derniers ont atteint un niveau record de 117 milliards de dirhams en 2024 (EcoActu).
La question : pourquoi ne pas mieux exploiter ces compétences et ces ressources financières ? Le blocage est-il administratif, institutionnel ou lié à la volonté politique ?
Des programmes officiels sans empreinte
Plusieurs programmes officiels ont été lancés pour mobiliser les compétences marocaines à l’étranger :
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TOKTEN (1993)
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FINCOME (2006)
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MAGHRIBCOM (2013)
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MRE Academy (2020)
Malgré ces initiatives, elles ont rapidement montré leurs limites, paraissant formelles et sans réelle efficacité sur le terrain (canal212.ma, Le Matin.ma, Hespress, Yabiladi).
Le programme MDM Invest, censé encourager les Marocains de l’étranger à investir jusqu’à 10 % des projets, n’a pas atteint les résultats escomptés.
Résultat : opportunités perdues, volonté politique en demi-teinte, et absence de mécanismes clairs pour orienter les compétences vers des projets productifs.
Institutions constitutionnelles : entre autonomie et responsabilité
L’expérience marocaine révèle un écart entre la lettre de la Constitution et la pratique institutionnelle :
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Les nominations et décisions reflètent parfois des orientations politiques plus qu’une véritable indépendance institutionnelle.
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Les rapports officiels, malgré leur importance, ne bénéficient souvent pas d’un large suivi populaire, en raison de canaux de communication faibles ou d’un langage technique peu accessible.
Question centrale : comment ces institutions, censées protéger la démocratie, peuvent-elles remplir leur mission si les liens avec la société restent fragiles ?
Le lien manquant entre compétences et institutions
La dispersion administrative et l’absence d’une plateforme centrale claire (Ministère des Affaires Étrangères, CNRST, CCME, Tamwilcom…) illustrent les difficultés à mobiliser le capital humain.
L’absence d’une base de données dynamique des compétences, la lenteur dans la reconnaissance des diplômes et l’absence de stratégies à long terme contribuent à maintenir un décalage entre les textes et la réalité.
Signal positif : le Forum économique des Marocains du Monde (FEMM) a commencé à formuler des visions pour transformer les transferts financiers en investissements productifs (EcoActu), tandis que Tamwilcom a annoncé de nouveaux mécanismes de soutien aux projets.
Questions clés pour le lecteur
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Avons-nous une véritable volonté politique de rapatrier ce trésor humain marocain en suspens à l’étranger ?
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Les institutions constitutionnelles sont-elles capables de relever les défis de l’époque et d’assurer transparence et responsabilité ?
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Faut-il simplement de nouveaux programmes, ou une réforme structurelle qui intègre les compétences dans les institutions et les transforme en force économique ?
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Comment construire des ponts solides entre compétences à l’étranger, citoyens et institutions nationales ?
Conclusion
Aujourd’hui, nous perdons un demi-million de compétences à cause de protocoles inefficaces, de programmes sans objectifs clairs et d’institutions incapables de coordonner ou de diriger efficacement.
Les solutions :
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Créer une plateforme nationale dynamique pour cartographier les compétences et les besoins.
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Transformer FINCOME et programmes similaires en partenariats stratégiques clairs.
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Mettre en place un fonds d’investissement dédié à l’innovation.
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Simplifier la reconnaissance des diplômes et accélérer l’intégration des retours.
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Renforcer la transparence et la responsabilité des institutions constitutionnelles.
Dans un monde où les nations se disputent les talents, la question reste entière : cette fois-ci, prendrons-nous la bonne décision pour récupérer le trésor marocain resté hors de portée ?