Quand les montagnes marchent vers le centre…
À Aït Bouguemaz, là où la beauté brute du paysage épouse les blessures profondes du délaissement, les habitants ont décidé de briser le silence et de marcher vers la lumière. Ce n’était pas une simple marche de protestation, mais un procès silencieux intenté à des politiques publiques qui ont oublié que le Maroc possède un cœur vivant, mais qui peine à respirer. Des centaines de pas, des dizaines de slogans, résonnant entre les montagnes d’Azilal et les couloirs du pouvoir… L’État entendra-t-il enfin l’appel des hauteurs ?
Dans un geste sans précédent, la population d’Aït Bouguemaz a entamé une marche pacifique depuis ses villages perchés, en direction du siège de la Wilaya de Béni Mellal-Khénifra, pour dénoncer un abandon chronique et interpeller l’indifférence vis-à-vis de leur région montagneuse.
Les manifestants ont formulé des revendications claires : droit à la santé, infrastructures routières décentes, couverture téléphonique, accès à Internet, formation professionnelle, infrastructures sportives, éducation de proximité et développement équitable.
Par leur mobilisation exemplaire, ces citoyens ont brandi des drapeaux nationaux et des pancartes qui exposent leur exclusion et revendiquent un Maroc profond connecté au reste du pays.
C’est un message fort, envoyé de la montagne au centre décisionnel, remettant au cœur du débat la question cruciale de la justice territoriale et mettant en lumière l’échec des promesses de développement.
Des revendications simples, reflet d’un échec profond
La banderole principale de la marche résume toute l’histoire : un médecin permanent au centre de santé, une route praticable vers Azilal, une couverture téléphonique et Internet, un terrain de sport, un centre de formation professionnelle, une école communautaire, et des barrages collinaires pour protéger les terres.
Des revendications qui peuvent sembler modestes depuis les grandes villes, mais qui, en montagne, font la différence entre la vie et la mort, entre la dignité et l’abandon.
Symbolique de la marche : les pieds parlent là où les discours échouent
Dans un pays qui débat d’un nouveau modèle de développement, Aït Bouguemaz répond avec les pas. Une scène poignante qui révèle l’écart abyssal entre les stratégies planifiées et la réalité du terrain.
La zone n’est desservie par aucun transport public. Elle ne dispose ni d’administrations accessibles, ni d’un hôpital de proximité. Les routes comme la régionale 302 sont en état de délabrement avancé, rendant tout déplacement périlleux. Quant au centre de santé, il survit en mode urgence, sans médecin fixe, ni équipements adaptés.
Quand l’État numérique oublie la montagne
À l’ère du digital et de l’enseignement à distance, les villages d’Aït Bouguemaz restent hors réseau. Ce n’est pas seulement une affaire d’isolement, c’est une négation pure du droit à l’éducation, à la communication et à l’insertion dans l’économie numérique.
Une jeunesse sans terrain, une montagne sans horizon
Les manifestants n’ont pas demandé la lune. Ils ont réclamé un simple terrain de sport, un centre de formation aux métiers de la montagne, pour stopper l’exode, donner de l’espoir à leurs jeunes, et proposer des alternatives à l’errance et au décrochage.
La loi montagne : promesse sans lendemain
Bien que le Maroc ait adopté une loi spécifique pour les régions de montagne, les habitants d’Aït Bouguemaz la considèrent comme une promesse sans suite. Les indicateurs de développement sont toujours absents, pris en otage par une bureaucratie centrale qui ne voit la montagne qu’à travers des satellites.
Un cri pacifique… y aura-t-il un écho ?
La marche d’Aït Bouguemaz n’est dirigée contre personne. Elle est pour le pays, pour la dignité. Mais le silence officiel à ce jour renforce le sentiment d’abandon et relance une vieille question : quand l’État passera-t-il de la réaction à l’action préventive et équitable ?
Si l’État ne peut voir la montagne, qu’il entende au moins son cri.
Sans intégration réelle et équitable du Maroc profond, le projet de développement restera incomplet, vulnérable, et irrémédiablement déséquilibré. Ce qui n’est plus acceptable dans le Maroc de 2025.