La soirée du rappeur marocain Taoufiq Fahssi alias « Totot », diffusée sur 2M pendant le festival Mawazine, a semi‑déchaîné les passions : elle affiche plus de 400 000 spectateurs, un record, tout en déclenchant une vague de critiques pour son « contenu inapproprié ».
Une plainte déposée auprès du régulateur HACA (Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle) – relayée par le parti de la Justice et Développement – accuse la chaîne publique de viol des « contenus convenus » : tenue jugée « malséante » (t‑shirt « Sılkot » orné d’une étoile du drapeau), langage grossier, incitation à répéter des propos vulgaires… des atteintes présumées à la dignité humaine ou à la santé psychologique des mineurs.
Liberté d’expression ou responsabilité publique ?
D’un côté, des voix s’élèvent pour protéger le public familial, en particulier les enfants, et font valoir que le contenu public télévisé doit rester conforme à un certain « standard moral », comme on le fait pour le cinéma ou les sites Web.
Mais, ces mises en garde se heurtent aux faits culturels :
-
Totot s’adresse à son public, principalement jeune, via une langue urbaine crue reflétant les réalités de son époque ;
-
Mawazine a déjà accueilli des artistes internationaux à la tenue ou aux propos plus provocateurs, sans susciter la même réaction ;
-
Le rap, selon certains analystes, porte une voix contestataire, sociale, exprimant les attentes d’une jeunesse en quête de visibilité.
Une censure différenciée ?
Le critique Abdelrahim Chafaei note la disparité de traitement :
-
Une critique virulente s’éléve contre un artiste local,
-
Alors que des contenus plus audacieux passent sans remous lorsqu’ils sont produits à l’étranger.
Le « double standard » de la télévision publique soulève une question majeure : pourquoi ce deux poids deux mesures ?
Entre espace public et foyer familial
Selon le producteur Moufid Sbaihi, assister à un concert est un choix libre ; mais quand ce même contenu est diffusé dans les salons, via une chaîne publique, la responsabilité éditoriale devient incontournable : il faut penser à des classifications par âge, voire des avertissements avant diffusion, comme c’est le cas au cinéma.
HACA à l’épreuve de la modernité
Le régulateur est confronté à un dilemme : appliquer le cahier des charges à la lettre ? Ou reconnaître la réalité d’un paysage audiovisuel éclaté (TV, Internet, redes sociaux…) ?
-
Le « filtrage » traditionnel reste pertinent pour la télévision publique,
-
Mais le contenu numérique échappe à toute forme de contrôle conventionnel.
Conclusion
Le débat autour de Totot dépasse un simple cas de censure :
-
Il révèle une fracture culturelle : d’un côté, un art urbain, immédiat, contestataire ; de l’autre, une norme sociétale figée.
-
Il interroge sur la capacité des institutions à s’adapter aux transformations culturelles, sans verser ni dans l’autoritarisme moral, ni dans la passivité.
Les questions fondamentales demeurent :
-
Peut‑on exposer une génération au polissage moral tout en acceptant l’expression crue de son quotidien ?
-
Les médias publics doivent-ils édicter ou encadrer ?
-
Quelle place accorder à un art qui « dérange » mais reflète nos réalités ?
Sans réponse univoque, une évidence s’impose :
La culture d’un pays se mesure non seulement par ses normes, mais aussi par sa capacité à accueillir des voix contraires.