Dans un tournant marquant d’un dossier qui prend de plus en plus une dimension politico-judiciaire, la chambre criminelle près la Cour d’appel de Casablanca a décidé de convoquer plusieurs personnalités du monde politique, artistique et sportif, en tant que témoins dans l’affaire dite de “l’Escobar du Sahara”, un trafiquant de drogue international présumé.
Une justice face à des réseaux de pouvoir ?
Parmi les figures convoquées figurent la chanteuse marocaine Latifa Raafat (ex-épouse de l’un des principaux accusés), le député Abdellah Chouki du Parti Authenticité et Modernité (PAM), ainsi que le fils de l’ancien président du Wydad de Casablanca, Said Naciri, actuellement détenu dans le cadre de la même affaire. Cette décision intervient suite à une requête de la défense de Abdelnabi Bioui, ancien président de la région de l’Oriental, réclamant la comparution de ces personnes pour confrontation judiciaire.
Cette convocation de profils issus de sphères aussi diverses que l’art, la politique et le sport transforme le procès en véritable test de l’indépendance judiciaire, dans un contexte national sensible où la société civile demande de plus en plus de transparence et d’égalité devant la loi.
Criminaliser la politique ou politiser le crime ?
L’affaire soulève un dilemme fondamental : s’agit-il d’un procès équitable contre des figures soupçonnées de liens avec un réseau criminel transfrontalier, ou d’une instrumentalisation politique du système judiciaire pour neutraliser certaines figures publiques ?
Car au-delà des charges criminelles, les profils convoqués incarnent des symboles médiatiques et institutionnels puissants – transformant ce dossier pénal en affaire d’État larvée.
Équilibre précaire entre procédure et pression publique
Si la convocation de témoins s’inscrit dans le cadre du droit à une défense équitable, la médiatisation du nom de Raafat ou de Bioui risque de biaiser la perception publique de la procédure. Les précédents judiciaires au Maroc démontrent combien certains dossiers peuvent être exposés à des interférences politiques ou médiatiques.
La question se pose alors : la justice pourra-t-elle aller jusqu’au bout, sans céder aux pressions ni devenir l’instrument d’un rééquilibrage interne aux cercles du pouvoir ?
Un contexte régional tendu : le narcotrafic et ses ramifications sahéliennes
L’affaire se déroule dans un contexte régional où les alertes internationales se multiplient sur l’expansion des réseaux de drogue entre l’Afrique de l’Ouest et le nord du continent.
Le rapport 2023 de l’ONUDC (Office des Nations unies contre la drogue et le crime) note que le Maroc reste un point de passage stratégique pour les routes de trafic reliant l’Amérique latine à l’Europe, et que certaines ramifications locales peuvent impliquer des relais institutionnels ou semi-officiels.
La convocation de personnalités influentes, qu’elles soient politiques, artistiques ou sportives, devient donc une étape importante non seulement dans la recherche de la vérité judiciaire, mais aussi dans la refondation de la crédibilité de l’État face aux crimes complexes.
Conclusion : symbole de justice ou mise en scène institutionnelle ?
Le procès de l’“Escobar du Sahara” dépassera-t-il son cadre pénal pour devenir un moment de rupture dans la lutte contre les réseaux de drogue à haut niveau ? Ou sera-t-il, comme tant d’autres, un simulacre d’assainissement sans conséquences réelles ?
Une chose est sûre :
le nom de Latifa Raafat, invité malgré elle dans cette tempête judiciaire, suffira à capter l’attention d’un public bien au-delà des salles d’audience.