Au-delà des fuites relayées récemment par Hespress faisant état de cessions douteuses de terrains appartenant aux collectivités territoriales dans les régions de Casablanca-Settat, Marrakech-Safi et Fès-Meknès, une interrogation majeure s’impose :
L’encouragement de l’investissement local sert-il désormais de paravent à une nouvelle forme de prédation foncière ?
Des prix symboliques pour des profits colossaux ?
Selon des sources bien informées, des agents d’autorité ont adressé des demandes d’explication à plusieurs présidents de conseils communaux soupçonnés d’avoir cédé des biens immobiliers publics à des prix dérisoires sous prétexte de stimuler l’investissement. Or, des inspections récentes ont révélé que plusieurs de ces parcelles ont été exploitées pour des projets privés à forte rentabilité, notamment dans l’immobilier et le commerce.
Peut-on encore parler de développement territorial lorsque l’intérêt général est sacrifié au profit de logiques spéculatives ?
Contexte national : Des patrimoines collectifs livrés à eux-mêmes
Les révélations en cours s’inscrivent dans une problématique plus large. Plusieurs rapports du Conseil supérieur des comptes ont souligné ces dernières années l’absence de stratégie claire de gestion du foncier communal, pointant du doigt le manque de recensement, l’absence de titres fonciers et l’opacité des processus de cession.
Dans son rapport de 2022, le Conseil avertissait :
« Une large part du patrimoine des collectivités n’est ni inventoriée, ni sécurisée juridiquement, ce qui l’expose aux abus et aux détournements. »
Face à cette réalité, la Direction du Patrimoine du ministère de l’Intérieur tente de réagir par la mise en place d’un plan de sécurisation, misant sur le recensement et le titrement des propriétés collectives. Mais cette approche demeure réactive et limitée.
Contexte international : Une décentralisation mal maîtrisée ?
À l’échelle mondiale, les experts du développement territorial alertent depuis longtemps sur les effets pervers d’une décentralisation mal accompagnée. La Banque mondiale, dans un rapport de 2021, indique clairement que :
« Sans mécanismes solides de transparence et de redevabilité, la décentralisation peut aggraver la corruption locale. »
Le Maroc, engagé depuis deux décennies dans un processus de régionalisation avancée, semble aujourd’hui confronté à ses propres contradictions : plus de pouvoirs aux élus locaux, mais sans les garde-fous nécessaires.
Cessions, trocs et conflits d’intérêts : la triple alerte
Les informations collectées par les inspecteurs révèlent également un autre aspect préoccupant : la signature de contrats d’échange de terrains avec des promoteurs proches des décideurs locaux, ou encore la régularisation de situations litigieuses contre commissions occultes. Pire encore, certains présidents de conseil auraient délibérément ignoré les décisions de justice ordonnant l’expulsion d’occupants illégaux de biens communaux.
Sommes-nous face à une simple négligence ou à un système de clientélisme enraciné ?
Réagir ou réformer en profondeur ?
Certes, la réaction du ministère de l’Intérieur est notable, notamment à travers l’intensification des inspections et le renforcement des procédures de traçabilité. Mais même les experts internes reconnaissent que le vide juridique n’est qu’un des aspects du problème. Sans transformation structurelle de la gouvernance foncière locale – incluant digitalisation, contrôle indépendant et responsabilisation des élus – le système restera vulnérable.
Le Maroc peut-il passer d’une logique de crise à une logique de prévention ?
Conclusion : L’enjeu de la reddition des comptes
Ces affaires, si elles sont confirmées et poursuivies devant les juridictions financières, pourraient marquer un tournant. Mais si elles restent sans suite ou limitées à quelques sanctions administratives, le message serait désastreux pour la crédibilité des institutions locales.
La véritable question demeure : le Maroc est-il prêt à briser le cercle de l’impunité en matière de gestion du foncier communal ?