Tebboune a-t-il tenté d’impliquer Kagame dans la question du Sahara ? Lecture de la visite du président rwandais en Algérie et ses répercussions diplomatiques
Dans une scène diplomatique marquante, l’Algérie a accueilli le président rwandais Paul Kagame pour une visite officielle de deux jours, couronnée par la signature de plusieurs accords bilatéraux. Ce qui devait être une simple étape visant à renforcer la coopération économique et technique s’est transformé en une plateforme pour une tentative politique d’instrumentaliser la question du Sahara marocain — un geste qui soulève des interrogations sur les limites de la diplomatie et la crédibilité des positions officielles.
Tebboune parle… Kagame ne comprend pas !
Lors de la conférence de presse de clôture, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a choisi de s’exprimer en arabe, sans fournir de traduction simultanée à l’invité rwandais, transformant la rencontre en un véritable « monologue ». Plus surprenant encore, Tebboune a annoncé unilatéralement que le Rwanda et l’Algérie « soutiennent le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui ».
Cependant, cette déclaration n’a trouvé aucun écho dans les communications ultérieures du président Kagame. Ce dernier s’est contenté, dans un tweet sur son compte officiel X (anciennement Twitter), de mentionner les dossiers abordés et les accords signés — notamment dans les domaines du transport aérien, de l’agriculture, de l’éducation, de la formation, de l’investissement et des communications — sans aucun mot sur la question du Sahara.
President Kagame and President @TebbouneAmadjid led bilateral discussions with their delegations before witnessing the signing of agreements on Air Service, Visa Exemption, Communication, Police, Pharmaceutical Industries, Higher Education, Agriculture, Entrepreneurship,… pic.twitter.com/U4cKVWWde7
— Presidency | Rwanda (@UrugwiroVillage) June 3, 2025
Le président rwandais a-t-il vraiment adhéré à cette position ? Ou Tebboune a-t-il une nouvelle fois tenté d’exporter une position interne au détriment de la vérité diplomatique ?
Le silence de Kagame… un refus implicite ?
En diplomatie, le silence est parfois plus éloquent que les mots. Connu pour sa précision dans le langage politique, Kagame n’a ni confirmé ni infirmé la déclaration de Tebboune, traduisant un refus implicite d’être impliqué dans un conflit régional complexe.
Il est important de rappeler que le Rwanda a retiré depuis plusieurs années sa reconnaissance de la soi-disant « République arabe sahraouie démocratique » dans le cadre d’une révision pragmatique de sa politique africaine, axée sur la stabilité plutôt que sur des conflits fabriqués. Ce tournant a été souligné dans des rapports internationaux tels que ceux de l’Institut d’études de sécurité (ISS) et du magazine African Arguments, qui décrivent l’orientation de Kigali vers une politique étrangère équilibrée et non conflictuelle.
L’usage des « invités » dans la politique algérienne
Ce n’est pas la première fois que l’Algérie tente de « lire les intentions » au nom de ses invités. Par le passé, des positions favorables au Polisario ont été attribuées à des pays africains et asiatiques qui n’ont jamais émis de déclarations officielles, certains les ayant même démenties par la suite. Cela soulève une question préoccupante : le discours diplomatique algérien est-il devenu un outil de fabrication politique plutôt qu’un dialogue responsable ?
Un rapport récent de Freedom House (2024) a alerté sur l’élargissement de la « manipulation médiatique et politique » au sein du système algérien, où les enjeux régionaux sont utilisés pour détourner l’attention des défis économiques et sociaux internes.
Le Maroc… une position stratégique consolidée en silence
De son côté, le Maroc continue de renforcer calmement sa position diplomatique, s’appuyant sur une large légitimité politique, juridique et sur le terrain dans le dossier du Sahara, soutenu par des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU appelant à une solution politique réaliste et consensuelle. Le Maroc n’a pas répondu officiellement aux allégations de Tebboune mais accumule des acquis silencieux, alors que de plus en plus de pays retirent leur reconnaissance au Front Polisario et que les consulats se multiplient à Laâyoune et Dakhla.
Questions ouvertes…
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Le comportement de Tebboune reflète-t-il un désespoir diplomatique face à l’isolement régional de l’Algérie après son échec à remettre la question du Sahara à l’ordre du jour de l’Union africaine ?
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Pourquoi le régime algérien insiste-t-il pour attribuer des positions à des dirigeants qui ne les ont pas exprimées ?
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L’Algérie manque-t-elle d’alliés réels au point d’en arriver à « parler au nom des autres » ?
Conclusion
La visite du président Kagame en Algérie n’a pas été un événement marginal, mais une leçon sur la différence entre la diplomatie calme fondée sur l’action et la diplomatie impulsive fondée sur le spectacle. Alors que Kagame choisissait la coopération et le développement, Tebboune tentait de le tirer dans une arène politique qui ne le concernait pas — mais le silence s’est avéré plus éloquent que toute déclaration.
En relations internationales, tout silence n’est pas neutralité… parfois, le silence est une prise de position claire contre l’absurde.