Le Parlement marocain inaugure un “studio audiovisuel”… Un projet technique ou un vernis institutionnel ?
Le 4 juin 2025, la Chambre des représentants du Maroc a inauguré un nouveau studio audiovisuel, lors d’une cérémonie officielle à laquelle ont assisté l’ambassadrice de l’Union européenne au Maroc, la cheffe du bureau du Conseil de l’Europe, ainsi que les présidents des groupes parlementaires et des commissions permanentes.
Le président de la Chambre, Rachid Talbi Alami, a prononcé un discours qualifié de « festif », dans lequel il a remercié les partenaires européens et salué la coopération parlementaire maroco-européenne dans le cadre du projet « Renforcement du rôle du Parlement dans la consolidation de la démocratie au Maroc ».
Mais derrière cette actualité officielle, plusieurs questions brûlantes s’imposent : S’agit-il d’un véritable élargissement des canaux de communication démocratique ? Ou simplement d’un enjolivement institutionnel dans un contexte de dysfonctionnements profonds entre le Parlement et la société ? Ce projet reflète-t-il un partenariat équilibré avec l’Union européenne ou une forme de dépendance douce à des programmes d’appui porteurs d’agendas implicites ?
Un « studio audiovisuel »… Plus qu’un projet technique ?
Selon le discours officiel, ce projet vise à ouvrir de nouveaux canaux de communication entre le Parlement et les citoyens, et à accompagner les défis numériques et médiatiques contemporains dans un contexte marqué par le « flux d’informations » et les « risques de désinformation », comme l’a souligné le président de la Chambre. Il a également indiqué que ce studio faciliterait les déclarations de presse des députés et offrirait un espace professionnel aux journalistes.
Mais une question centrale se pose ici : Est-ce que le Parlement marocain souffrait d’un manque d’outil technique de diffusion ? Ou bien manquait-il plutôt du courage d’ouvrir un débat réel sur des questions sensibles pour le pouvoir exécutif ou menaçant les intérêts de certains lobbys économiques ? En d’autres termes, à quoi bon investir dans une infrastructure médiatique si la culture parlementaire reste marquée par un esprit de communication traditionnelle, voire parfois bureaucratique ?
Quelle démocratie veut-on « consolider » ?
Le projet s’inscrit dans le cadre d’un programme européen pour le « renforcement de la démocratie », mais de quelle démocratie s’agit-il ? Peut-on la mesurer à l’aune de l’inauguration d’un studio ou de la signature d’un guide méthodologique ? Ou bien à la capacité réelle du Parlement à exercer sa mission de contrôle, à interroger le gouvernement et à le tenir responsable, avec audace et indépendance ?
Une institution en décalage ?
Le paradoxe est que le Parlement marocain lui-même est perçu, par une partie de l’opinion publique, comme absent des grands enjeux du pays, avec des débats législatifs déconnectés des préoccupations des citoyens, et une couverture médiatique de ses travaux jugée faible en qualité — malgré la présence, selon le président, de plus de 250 journalistes accrédités. Le nouveau studio va-t-il résoudre ce manque de sens politique et de contrôle ? Ou ne sera-t-il qu’un outil moderne de « recyclage discursif » ?
Maroc-UE : Partenariat ou dépendance douce ?
Le discours a été ponctué de formules laudatives envers l’Union européenne : « soutien continu », « performance remarquable de l’ambassadrice », « partage de valeurs », « ouverture et démocratie »… Ce qui nous pousse à poser la question suivante :Ces expressions traduisent-elles un rapprochement égalitaire en matière de valeurs et de décisions ? Ou révèlent-elles une dépendance structurelle à un appui extérieur assorti de conditions implicites, via des financements techniques et des partenariats institutionnels ?
Dans le contexte international actuel, où l’Union européenne tend à lier de plus en plus son aide financière au respect des « valeurs démocratiques », le Maroc se trouve dans une position d’équilibre délicate : préserver sa souveraineté politique tout en ayant besoin de partenariats et de financements. Le Parlement est-il conscient que le « partenariat démocratique » devrait être équilibré en termes d’influence, et pas uniquement de discours ?
Le maillon manquant : la presse indépendante
Dans son allocution, M. Talbi Alami a qualifié les médias de « partenaire essentiel de la démocratie » et a appelé à un journalisme « sérieux et constructif ». Mais la vraie question est : Est-ce que les médias bénéficient de l’espace suffisant pour jouer ce rôle ?
Comment le Parlement peut-il prétendre à une ouverture médiatique alors que les médias marocains font face à des restrictions croissantes dans certains domaines, à une concentration publicitaire, à une faible indépendance rédactionnelle, et à une crainte généralisée de la critique constructive ? Le risque est que ce nouveau studio ne serve qu’à reformater le discours de l’institution parlementaire dans une forme plus attrayante, sans offrir un réel espace de liberté pour la critique et l’interpellation.
Conclusion : Inauguration ou simple relooking institutionnel ?
L’inauguration d’un studio audiovisuel au sein de la Chambre des représentants n’est pas qu’un événement de communication : c’est un test symbolique de l’état de la démocratie au Maroc. C’est un test de sincérité de la volonté politique, de la capacité du Parlement à s’ouvrir à la pluralité des opinions, et du rôle des médias comme partenaire, non pas comme prolongement des communiqués officiels.
Ce dont nous avons peut-être besoin aujourd’hui, ce n’est pas uniquement d’une plateforme de diffusion, mais d’une plateforme de confiance entre les institutions et la société, entre le Parlement et les citoyens, entre la démocratie proclamée et la démocratie pratiquée.
Le Parlement marocain réussira-t-il ce saut qualitatif ? Ou bien le nouveau studio ne fera-t-il qu’illustrer une autre contradiction dans le parcours de la transition démocratique ?
La technique ne fait pas le sens… et la souveraineté démocratique ne se finance pas uniquement, elle s’exerce.