Au Maroc, parfois, nul besoin de documents confidentiels ni d’enquêtes complexes. Il suffit d’une « déclaration spontanée » d’un responsable gouvernemental pour lever le voile sur la gestion des fonds publics et exposer des réseaux complexes de clientélisme politique et de contrôle des budgets de l’État au service d’agendas partisans.
C’est ce qui s’est produit avec Zakia Driouch, Secrétaire d’État chargée de la pêche maritime et membre du Rassemblement National des Indépendants (RNI), apparue dans une vidéo largement partagée sur les réseaux sociaux, où elle avoue – ou « se félicite » ? – d’avoir accordé une subvention de plus de 11 millions de dirhams à l’un de ses collègues du parti.
La ministre s’est-elle transformée en caisse noire partisane ?"
"Par ses propres mots, elle a dévoilé le jeu : Qui distribue les milliards de l’État aux proches ?" pic.twitter.com/aV4CLCoyGF
— المغرب الآن Maghreb Alan (@maghrebalaan) May 4, 2025
Bien que l’authenticité de la vidéo n’ait pas été confirmée officiellement, le contenu et le contexte de sa diffusion ne peuvent être ignorés. Il s’agit d’un moment politique – symbolique, certes – mais hautement révélateur.
Entre spontanéité et révélation… Déclaration ou fuite politique ?
Dans les sociétés où les mécanismes de contrôle et de reddition des comptes sont faibles, les déclarations spontanées sont souvent plus sincères que les communiqués officiels. Le journaliste Mustapha El Fenn l’a clairement exprimé dans un tweet assumé :
« Si les propos attribués à la ministre sont vrais, nous sommes face à une déclaration choquante qui révèle un manque de sens politique et soulève de graves questions sur la gestion des deniers publics. »
Sommes-nous face à un simple « lapsus », ou à une fenêtre ouverte sur les pratiques de distribution des subventions au Maroc ? Le soutien public serait-il perçu, par certains responsables, comme un outil pour renforcer l’influence au sein du parti, voire récompenser « les camarades politiques » ?
Subvention publique : outil de développement ou levier de fidélité partisane ?
Dans les économies démocratiques, la subvention publique est un outil de stimulation économique, de création d’emplois et de soutien aux couches vulnérables. Mais dans le cas marocain, cette déclaration (si elle est avérée) suggère que les aides peuvent devenir un levier d’entretien de réseaux de loyauté partisane, en dehors de toute logique de performance ou de mérite.
L’opinion publique pose aujourd’hui plusieurs questions légitimes :
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Cette importante subvention a-t-elle été octroyée via des procédures claires et transparentes ?
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Le projet a-t-il été évalué par une commission indépendante ?
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Qui est ce « bénéficiaire partisan » ? Et quel type de projet a reçu un tel montant ?
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Pourquoi cette opération n’a-t-elle pas été rendue publique par les canaux officiels ou dans les rapports du ministère de la Pêche maritime ?
Impact politique : l’image du RNI en danger
Le Rassemblement National des Indépendants, qui dirige actuellement le gouvernement, a construit son discours autour de concepts tels que « l’État de compétence », la « rupture avec la rente », et « la corrélation entre responsabilité et reddition des comptes ». De telles déclarations risquent de saper ce discours de l’intérieur.
Si certains membres du parti se comportent comme s’ils détenaient les clés des fonds publics, les distribuant selon des critères de loyauté politique, que reste-t-il du « Nouveau Modèle de Développement » ?
Et si le parti se tait, cela signifie-t-il son approbation tacite de cette mentalité ?
Silence officiel… crise aggravée
À l’heure de la rédaction de cette enquête, ni le ministère ni le gouvernement n’ont fourni d’explication. Le Parlement et la Cour des comptes n’ont pas non plus réagi. Ce silence officiel ne peut être interprété que de deux façons :
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Soit la vidéo est authentique, et les autorités tentent d’en atténuer les conséquences ;
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Soit elle est inexacte, mais personne n’ose la contester publiquement.
Dans les deux cas, l’opinion publique reste prisonnière du flou et du silence.
Que faire ? Vers une véritable reddition des comptes
Si le gouvernement souhaite préserver un minimum de crédibilité, il est impératif :
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D’ouvrir une enquête administrative et judiciaire urgente ;
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De publier la liste des subventions accordées dans le secteur de la pêche maritime au cours des dernières années ;
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D’exiger du parti un positionnement clair sur les agissements de ses cadres, tant sur le plan éthique que politique.
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D’exiger du parti un positionnement clair sur les agissements de ses cadres, tant sur le plan éthique que politique.