Alors que le Conseil économique, social et environnemental recommande une réforme approfondie et coordonnée, le gouvernement et les acteurs politiques et administratifs disposent-ils réellement de la volonté nécessaire pour la concrétiser ?
Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a présenté, le mardi 22 avril 2025, son avis détaillé sur le projet de loi n° 03.23 modifiant et complétant la loi n° 22.01 relative à la procédure pénale, devant la Commission de la justice, de la législation et des droits de l’homme à la Chambre des représentants.
Le président du Conseil, M. Abdelkader Amara, a qualifié ce projet de pilier essentiel de la réforme du système judiciaire, un fondement de l’État de droit et des institutions.
Mais une question essentielle se pose :
Le fait de modifier 56 % du texte actuel suffit-il à remédier aux dysfonctionnements structurels de la justice pénale ?
Ou bien faut-il une refonte complète et cohérente de la procédure pénale à la lumière des mutations constitutionnelles, sociales et des engagements internationaux du Maroc ?
Garanties d’un procès équitable : entre consécration juridique et application réelle
Le Conseil affirme que ce projet constitue un pas vers l’harmonisation du droit national avec les standards internationaux relatifs au procès équitable.
Mais il insiste aussi sur un point critique : ces principes ne pourront être mis en œuvre efficacement sans une politique pénale intégrée, dotée d’un calendrier clair, de moyens humains, techniques et financiers suffisants.
Dès lors, une série d’interrogations s’impose :
L’État dispose-t-il réellement de ces ressources et de cette volonté politique ?
Existe-t-il une vision réaliste pour surmonter les blocages liés à la bureaucratie et aux limitations logistiques du système judiciaire ?
Recommandations du Conseil : réforme technique ou levier d’une justice sociale plus globale ?
Dans son intervention, le rapporteur du Conseil, M. Khalil Bensami, a exposé les conclusions tirées d’un dialogue avec la société civile, les professionnels de la justice et plusieurs acteurs institutionnels. Parmi les recommandations les plus marquantes :
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Appel à une refonte globale du texte au lieu de simples modifications ;
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Intégration de la réforme de la procédure pénale dans un cadre cohérent avec celle du code pénal ;
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Nécessité de fonder les choix politiques pénaux sur des études d’impact économiques, sociaux, environnementaux et budgétaires ;
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Inscription de la politique pénale dans une approche globale des politiques publiques, visant à traiter les causes profondes du crime : éducation, emploi, inclusion sociale…
Mais ces recommandations seront-elles suivies d’effet ?
Le gouvernement dispose-t-il de mécanismes institutionnalisés pour intégrer systématiquement l’évaluation d’impact avant l’adoption de textes juridiques sensibles ?
Genre, enfance, digitalisation : des enjeux transversaux au cœur de la procédure pénale
Le Conseil recommande d’introduire des protocoles spécifiques pour les enquêtes et instructions concernant les violences faites aux femmes, en renforçant la dimension de genre.
Il insiste également sur la nécessité d’une approche rénovée vis-à-vis des mineurs en conflit avec la loi, en renforçant le rôle de la famille, des institutions éducatives et des structures sociales, tout en assurant des centres spécialisés en nombre suffisant.
En parallèle, le CESE plaide pour une accélération de la digitalisation du système judiciaire, y compris dans le domaine pénal, à travers l’échange numérique des documents et la modernisation des infrastructures.
Mais une série de doutes subsiste :
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Le système judiciaire actuel est-il prêt à assumer un tel virage numérique ?
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L’environnement social et institutionnel est-il capable de prendre en charge le rôle éducatif et d’accompagnement que suppose la réforme pour les mineurs ?
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Sommes-nous face à une réelle transformation humaine de la justice, ou à une simple modernisation du langage juridique ?
Une justice sociale au cœur de la réforme judiciaire ?
Le Conseil suggère d’utiliser le Registre Social Unifié comme outil de ciblage pour l’assistance judiciaire, marquant ainsi une convergence entre justice et politiques sociales.
Mais cette convergence est-elle opérationnelle ?
Y a-t-il une coordination effective entre les différents départements pour assurer la cohérence de ces politiques ?
Conclusion analytique :
Entre aspirations constitutionnelles, exigences sociales et contraintes pratiques, la réforme de la procédure pénale se présente comme un test décisif pour la crédibilité des engagements institutionnels du Maroc.
La clé de réussite réside moins dans le texte lui-même que dans la capacité à mobiliser l’ensemble des leviers de gouvernance, de justice sociale et d’infrastructure pour une mise en œuvre intégrée, cohérente et équitable.