Dans un développement notable reflétant une tension croissante au sein du Conseil communal de Rabat, la police judiciaire de la préfecture de Rabat a entendu, lundi, le conseiller municipal Farouk Mehdaoui, représentant la Fédération de la gauche démocratique, suite à deux plaintes déposées par le directeur des services de la commune, en sa qualité de président du comité des examens de compétence professionnelle, et par la commune de Rabat, représentée par la maire de la ville, issue du parti Rassemblement national des indépendants.
Mais qu’est-ce qui a poussé la présidente du conseil à recourir à la justice ? Et qu’est-ce qui a été dit lors de la session du conseil pour être classé sous la rubrique de « diffamation et dénonciation calomnieuse » ? Sommes-nous face à une reddition de comptes légitime ou à une tentative de faire taire la voix de l’opposition ?
Du conseil municipal aux bureaux de la police : que s’est-il passé ?
L’affaire remonte à une intervention de Mehdaoui lors de la session extraordinaire du Conseil communal de Rabat, tenue le 12 décembre 2024, où il a accusé des membres du conseil d’avoir monnayé les examens de compétence professionnelle organisés par la commune. Il a affirmé que certains intermédiaires exigeaient jusqu’à 70 000 dirhams pour favoriser la réussite d’un candidat passant de l’échelle 10 à l’échelle 11.
Ces déclarations, considérées par la majorité comme un dépassement des limites du discours politique, ont conduit à des poursuites judiciaires pour diffamation et dénonciation calomnieuse.
Droit de critique ou « dénonciation calomnieuse » ?
Mehdaoui a déclaré que ce comportement reflète « l’absence de toute sensibilité au débat politique chez les adversaires », estimant que la démocratie locale est mise en péril par de telles actions. Il a souligné que, au lieu d’ouvrir une enquête transparente et impartiale par une instance indépendante, des plaintes sont déposées sur la base d’accusations infondées.
Mais jusqu’où peut-on justifier les déclarations de l’opposition au sein des conseils élus comme faisant partie de leur rôle naturel de surveillance et d’évaluation ? Et peut-on restreindre la liberté d’expression dans les salles des conseils par les limites du droit pénal, ou doit-elle rester dans le cadre de « l’immunité politique » ?
Questions ouvertes : où s’arrêtent les limites de la responsabilité politique ?Est-il acceptable que les conseils élus transforment leurs différends en dossiers judiciaires ?
Les propos de Mehdaoui relèvent-ils de la lutte politique légitime ou constituent-ils une véritable diffamation ?
Quelle est l’instance compétente pour trancher sur la véracité des allégations de violations lors des examens de compétence professionnelle ?
Peut-être que répondre à ces questions est plus que nécessaire à la lumière de la montée du phénomène de politisation de la justice ou de l’utilisation des outils de poursuite judiciaire pour faire pression sur les acteurs politiques critiques.
En profondeur : une crise de confiance entre les institutions ?
Ce qui est préoccupant dans cette affaire, ce n’est pas seulement l’issue des poursuites judiciaires, mais ce qu’elle révèle d’une crise de confiance au sein des conseils élus, où certaines majorités n’hésitent pas à recourir à la justice pour répondre aux critiques, au lieu d’utiliser les mécanismes de dialogue et de reddition de comptes internes. Cela reflète-t-il une fragilité de la culture démocratique ? Et cache-t-il une tendance croissante à la domination politique sur l’espace local ?
Il est paradoxal que les deux plaintes judiciaires n’aient pas été accompagnées, selon les informations disponibles, de l’annonce de l’ouverture d’une enquête interne ou indépendante sur les accusations soulevées par Mehdaoui, ce qui soulève une autre question : si les déclarations sont inexactes ou incorrectes, pourquoi ne pas les réfuter au lieu de les affronter par des poursuites judiciaires ?
Conclusion : vers où va la gestion des affaires locales ?
L’affaire n’est pas seulement un différend entre un conseiller de l’opposition et une maire de la majorité, mais elle incarne un problème plus vaste concernant l’avenir de l’action politique locale au Maroc, et la capacité des élus à accepter la critique et à la transformer en opportunité de réforme au lieu de la considérer comme un prétexte pour museler les voix.
Verra-t-on davantage de tensions judiciaires au sein des conseils, ou cette affaire sera-t-elle l’occasion de revoir la relation entre l’opposition et la majorité, et de renforcer les mécanismes de dialogue et de reddition de comptes internes ? Et une enquête sera-t-elle réellement menée sur les allégations en question, ou les dossiers seront-ils clos par une victoire juridique et une perte politique ?
La réponse ne sera pas seulement juridique… elle sera également tranchée par l’opinion publique.